Le printemps est un menteur

Janus
Janus

Ho bien sûr il arrive tout sourire avec ses beaux bouquets de couleur. Les parfums vous séduisent et l’air frémit de douceur. Mais sous les pétales soyeux, la fleur déjà se meurt. Le printemps est un menteur.

La sève se réveille et les branches se redressent, les hommes se relèvent et rêvent de vivre debout. De jour comme de nuit. Eux qui se courbaient et s’enfermaient dans les chaînes de leur propre consentement, les voilà prêts à courir pour de nouvelles utopies. Courez puisque vous le voulez, puisque vous le pouvez ! Libérez-vous des chaînes du consentement, enfin, il est temps ! Cependant, ne vous trompez pas sur ce qui vous attend. Ce ne sera ni facile, ni rapide. Il vous faudra rien moins que la vie pour apprendre à vivre par vous-même et les chemins tortueux où vous vous tordrez les chevilles à courir sans voir où vous allez, seront innombrables. Mais si vous n’avancez pas, nul chemin ne se créera pour vous.

Printemps mortel
Printemps mortel

Et ne croyez jamais à ceux qui vous font promesses d’un éternel printemps où vous pourriez avancer sur un tapis moelleux de fleurs. Car le printemps est un menteur. Sous les illusions de douceurs qu’il répand à foison, se cache la lente éclosion de la décrépitude et de la moisissure. Les larves grouillent sous la terre, les lentes éclosent, de partout bruissent des élytres et l’élite des guerriers d’une armée invisible se glisse dans nos veines, dans nos bronches.

L’air nous étouffe de sa douceur poisseuse, quand les mêmes idées nauséabondes renaissent au printemps, habillées de costumes trois pièces et plébiscitées par un peuple effrayé de l’avenir. A nouveau les loups se mettent en marche, leurs poumons gonflés du pouvoir de l’ignorance, de la peur de l’autre, du refus de la différence. Ils promettent Dieu ou miracles ou revanches à ceux qui se soumettent et mort, souffrances, misères et maladies aux autres. Que ce soient promesses de s’évader d’un quotidien humiliant ou promesses d’écarter les menaces à l’ordre d’un confort établi, dans ce jeu de dupes, il n’y a que des perdants. Que gagne en libre arbitre celui qui échange une domination pour une autre?

Muguet trompeur
Muguet trompeur

Des troupeaux de borgnes et d’aveugles bêlent derrière leurs mâles dominants et aiguisent becs et griffes pour un festin barbare où ils se nourriront de leur propre chair d’homme. Ils justifieront leurs actes au nom d’un prétentieux idéal, sans doute ni anges, ni bêtes, et pas plus près de l’un que de l’autre, mais pas plus que d’un idéal éthique d’humanité et bien loin de toute sagesse.

Le printemps ne change rien à l’affaire. On y meurt comme à toute saison et les pétales des cerisiers y tombent en gouttes de sang. Car il n’y a nulle trêve dans les guerres des hommes, ni pour un bouton de rose qui s’entrouvre, ni pour un sourire d’enfant, ni pour les belles qui ont la folie en tête ou les amoureux qui ont le soleil au cœur. Mais le printemps est en plus un menteur. Car voilà que nous rions de brins de muguet offerts, de claires clochettes mutines qui clament le bonheur, sans blâmer l’emblème pour ce qu’il est: un poison violent. Sous les corolles si pures, si gaies, la mort au printemps avance en se grimant.

Perséphone
Perséphone

Ce n’est pas la première fois. Vous qui contemplez le printemps de Botticelli et croyez voir Aphrodite dans sa beauté, c’est Perséphone que vous admirez. La renaissance connaissait mieux que nous le pouvoir des symboles. Triste, la dame sait qu’elle fut Coré, la jeune fille, si semblable aux vers de Nerval: «Elle a passé, la jeune fille

Vive et preste comme un oiseau À la main une fleur qui brille, À la bouche un refrain nouveau.» Mais le bonheur passe et fuit. L’idée d’humanisme aussi. Coré devenue Perséphone sait que toutes les grâces de la vie n’y feront rien. Le temps de la jeune fille est compté. Mercure psychopompe prépare déjà le chemin où s’oublieront toutes les danses et les refrains. Celle qui reviendra au printemps sera la reine des morts.

Miroir aux hirondelles

Pourtant ne pleurez pas sur le vol des hirondelles, vous qui rêvez de liberté, continuez à imaginer que vous pourrez aller «vers d’immenses rivages, Vers de grands rochers nus, des grèves, des déserts, Dans l’inconnu muet, ou bien vers d’autres âges, Vers les astres errants qui roulent dans les airs. ».

La réalité d’un jour n’est pas une fin en soi. La vie est un éternel mouvement, associez le vouloir et le rêve et vous pourrez l’infléchir, l’agrandir, penser autrement, agir résolument et aller vers la liberté d’être. Ne laissez pas l’obscurité gagner votre regard, continuez à penser avec prudence ce qui vous évitera l’intolérance mais ne croyez pas au concept « Impossible ». Au contraire!

Postulez le possible pour chacune de vos aspirations, ne la jugez pas irréaliste avant de l’avoir réalisée, car la réalité a plus à offrir que l’idée qu’on s’en fait. Il n’y a de grandes actions qu’avec l’inspiration qui les fait naître et ceux qui rêvent petit agissent de même. Ayez les yeux pleins d’hirondelles, mais ne vous laissez pas leurrer par des miroirs aux alouettes et le printemps vous donnera « l’air et la liberté ».

Car le printemps est un menteur qui dit toujours la vérité : l’espoir, sans cesse, refleurira.

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