La fin du monde – vue de ma fenêtre

Vous vous souvenez qu’autrefois et pendant assez longtemps, aussi pessimiste que vous ayez pu être, vous ne regardiez pas le monde comme quelque chose de fini. C’était plutôt un territoire à explorer, des possibilités ignorées, peut-être d’innombrables futurs à entreprendre. Il y avait l’envie de conquérir une place, quelque part et si vous n’en aviez pas, vous aviez assez de force pour vouloir la créer.

A quel moment exactement vous n’avez plus été dans une logique où tout était possible ? A quel moment avez-vous renoncé au fantasme de la volonté toute puissante ? Peut-être quand vous avez cessé de croire que votre existence humaine devait répondre aux exigences d’un poème. La vie se fait d’additions et de soustractions, de petites morts pas toujours agréables et tout cela construit le décor où vos fenêtres se réduisent. Vous prenez et appréciez aujourd’hui ce qui est à votre portée, vous n’attendez pas de demain plus qu’il ne vous appartient d’en obtenir.

Vous estimez que vous avez eu de la chance. Vos pertes et vos désillusions ont été relativement supportables. Vous avez plus gagné que perdu au hasard de la vie et ceux que vous avez rencontré sur ce chemin, cent et plus, hommes ou femmes, étaient tous vos frères humains.

Bien sûr, il y a eu aussi les amitiés mortes que vous auriez voulu retenir mais vos mots et vos mains tendues ont glissé sur l’indifférence. C’est votre propre silence aussi, parfois, qui a creusé la distance jusqu’à ce que vous ne voyiez plus l’ombre d’un ami à l’horizon. Ou des paroles placées mal à propos que vous ne pourrez plus reprendre.

Il y a eu cette vie que vous attendiez et qui a lâché avant le bout du parcours, vous laissant saigner en dedans et en dehors avec un creux de douleur comblé par des années d’oubli et surtout d’autres vies. Car il y a eu ces vies qui sont venues portant l’amour inconditionnel de l’enfance, vous remplissant d’émerveillement et de tendresse avec le scintillement joyeux de leurs présences illuminant sans cesse la nébuleuse de vos pensées. Vous avez été soleil et lune, c’étaient vos étoiles neuves. Vous les avez vu grandir avec fierté mais comment avouer que vous auriez voulu pouvoir revivre chacun de leurs âges ? Ceci aussi est une petite fin du monde, quand vous devenez une étoile ordinaire dans une constellation lointaine, ou plutôt que vous disparaissez pour de nouveaux soleils. Ce n’est pas la fin mais vous devez réapprendre à vous émerveiller seule, parce que l’amour n’est en rien possession.

Ciel en passant

L’amour qui se réveille et tenaille quand vous perdez un parent et que cela ampute votre être d’un peu de son passé et de son importance, emportant « devenir » et souvenirs. A force d’être, vous mourrez un peu chaque jour, dans des fins du monde à petite échelle qui ne font s’effondrer que vos certitudes. Mais cela polit ce qui vous sculpte, la friction fait l’œuvre de pierre, l’épreuve l’expérience, n’est-ce pas le dit du sage ?

Mais vous n’êtes pas sage, vous n’êtes pas non plus turbulente. Parce que vous n’attendez de personne qu’on vous définisse ainsi. Vous n’êtes pas docile et vous ne cherchez pas à guider, pas plus qu’à briller. Toute lumière est vouée à disparaître et votre expérience n’éclaire que le chemin parcouru, pas celui à venir.

Vous n’êtes ni sage ni turbulente, mais vous êtes têtue. Et tout ce que vous savez de la fin du monde, c’est que vous ne la verrez jamais que de votre fenêtre, par petits bouts qui vous retireront l’amour qui vous éclaire, jusqu’à ce que vous mourriez. C’est seulement là qu’il n’y aura plus de lumière, là seulement que vous ne pourrez plus aimer. Alors en attendant vous rêvez et vous vivez. Quoiqu’il arrive. Parce que, vu de votre fenêtre, le ciel est encore là, alors le monde aussi. Un monde qui n’existe et qui ne vaut la peine d’être vécu que par les sourires partagés, la tendresse donnée, l’amour, l’amitié, la main tendue, même si sur le chemin on se déshabille de la beauté de la jeunesse, de certaines illusions, de la fougue et des passions.

« Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui » dit Hugo. Homo sum.

C’est donc l’histoire du monde que vous regardez et le monde éternue. Vous n’allez pas fermer la fenêtre pour autant.

Ciel à venir

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