Février 2016 : les choses s’arrangent mais ça ne va pas mieux

Terreur nouvelle
Terreur Nouvelle

Décidément, nous sommes  en plein dans la politique du symbole, qui fait la part belle aux émotions, aux croyances épidermiques mais qui, d’un autre côté, perd de plus en plus de sens, de pertinence et d’actions démocratiques. Nous avons déjà eu un épisode de commémorations à répétitions à côté de plaques. Non pas que je ne souhaite pas rendre hommage à tous ceux qui sont morts, victimes du terrorisme, non pas que je n’ai pas, comme la plupart de mes concitoyens, envie de me lever pour la liberté, pour la paix et la solidarité, contre le fanatisme et la haine, envie de témoigner de mon engagement à défendre des valeurs qui m’ont permis d’être ce que je suis et de vivre debout.

Je suis liberté

En mémoire de

Bien sûr qu’en me représentant le sentiment d’injustice et la douleur de ceux à qui on a arraché un être cher, je me sens solidaire de cette souffrance et je voudrais pouvoir y remédier. Bien sûr que je veux vivre dans un pays où nous pouvons circuler en paix et sans peur, à chaque coin de rue, qu’un événement traumatisant se produise, nous saisisse de stupeur puis nous fasse hurler d‘indignation. Mais je m’interroge sur le sens de cette entreprise nouvelle où on multiplie les commémorations comme autant d’exercices de style, ou d’espaces publicitaires politiques pour faire passer ce qui, hors du champ de l’émotion, ne pourrait pas passer.

La communion contre le terrorisme n’est pas un blanc-seing pour n’importe quelle mesure qui affaiblirait l’état de droit. Je rejoins ceux qui s’inquiètent à juste titre des dérives liées à l’état d’urgence et des lois sécuritaires d’un état policier qu’on justifie au nom de la liberté. Il n’y a pas plus de logique à justifier des crimes contre l’humanité au nom d’un Dieu, que justifier de faire rentrer dans la constitution des restrictions aux libertés publiques et aux droits de l’Homme au nom même de ces droits.

De plus, à écouter un peu plus les juristes, que les spécialistes des débats médiatiques, on constaterait que nous n’avons nul besoin de modifier notre appareil législatif actuel pour répondre aux enjeux majeurs auxquels nous sommes confrontés. Il s’agit de donner plus de moyens pour agir en accord avec nos lois, pas de trouver du temps et des moyens pour les changer à des fins qui sont loin d’être sans ambiguïté.

Si notre république a prévu dans ses lois de s’opposer contre les crimes, la violence, la barbarie et de garantir le respect des droits fondamentaux de tous les individus, quelles que soient leurs différences, pourquoi devrions-nous, sous la pression de terroristes, modifier ce qui fait l’essence même de notre état de droit et ce à quoi, par leurs actes, ils s’opposent?

Il n’y a aucune nécessité juridique à inscrire l’état d’urgence dans la constitution. Le droit commun, comme le rappelle Amnesty international, permets déjà des mesures contre le terrorisme. La déchéance de la nationalité est d’ores et déjà prévue dans le Code civil. Alors, à quoi bon tout ce à quoi nous assistons à présent, cette « mise en scène » de l’indignation ? Quelles fins sert-elle ? Je croyais naïvement qu’une commémoration faisait appel à la mémoire collective sur un événement d’histoire passé. Ainsi commémore-t-on plus la fin d’une guerre, ou ses points clés, que toutes les issues de toutes les batailles et cela après coup, une fois que nous pouvons porter un regard apaisé sur les événements.

En ces temps incertains, le rythme des commémorations s’accélère et devient lénifiant. En pleine horreur ou en pleine confusion, il y a d’autres méthodes et d’autres moyens pour exprimer le soutien aux victimes et le refus de la violence barbare que d’installer des plaques commémoratives un peu partout. Surtout quand du mauvais goût s’insinue dans les hommages.

La manifestation du 11 janvier en étant commémorée par une cérémonie publique orchestrée un an après, perd de son symbole fort d’éveil et de rassemblement d’une nation. C’est presque une façon de dire d’une mobilisation populaire, qu’elle est devenue institutionnelle et … archivée. De plus, sur cet effet de levier, greffer des mesures qui voudraient donner « un statut constitutionnel à l’arbitraire », dans l’urgence … mérite d’être questionné. Certes par leurs actes, les terroristes se situent sur un territoire de la démesure, de la barbarie exagérée, du déni d’humanité.

Faut-il leur répondre en exagérant les symboles, en multipliant les parades, en essayant de les exclure davantage de la raison qu’ils se sont exclus eux-mêmes, pour leur plus grand plaisir? Non. Nous devons les juger – en tant que citoyens, s’ils le sont, en tant que criminels dans tous les cas, d’un pays dont ils tombent sous le coup des lois. Nous avons un cadre juridique pour cela et c’est justement en leur appliquant ce cadre qu’ils ne gagneront pas. Quant à mieux nous protéger contre eux, est-ce vraiment à cela que servent les mesures évoquées? Est-ce qu’on en a vraiment mesuré l’efficacité contre le terrorisme ?

En d’autres termes, avons-nous pris le temps de tirer les leçons des trois premiers mois de l’état d’urgence temporaire avant de vouloir l’inscrire dans la constitution? Il semblerait que non, au vu des voix qui s’élèvent aujourd’hui, dont des juges administratifs qui se sont exprimés dans une tribune pour appeler à la prudence, pour dire que nous n’avons pas «tiré pleinement les leçons de cette première expérience, en termes de dangers pour les libertés comme d’efficacité pour la sécurité. ».

Ne vous trompez pas de symbole

Plus de 3000 perquisitions pour trouver 4 suspects de terrorisme, effectivement, on pourrait avoir un minimum de doutes. 350 à 400 assignations à résidence, dont certaines ressemblent à s’y méprendre à des abus … et font d’ailleurs l’objet de recours. Ce n’est pas tout à fait comme si aucun dérapage n’avait eu lieu. Que les citoyens choqués par les attentats jugent cela comme des bavures acceptables, c’est cela qui ouvre la porte à des mesures dangereuses et d’autres dérapages contre les libertés individuelles.

Je reprendrai la phrase de maître Emmanuel Daoud : « C’est l’honneur d’un Etat de droit de faire en sorte que le fonctionnement régulier et normal de nos institutions et notamment de la défense de tous les justiciables soient respectés. » Ne perdons pas, au nom de la lutte contre le terrorisme, cet honneur et cette fierté d’être dans un état de droit! Tout se passe comme si la parole démocratique peinait soudain à se faire entendre, sous le poids des plaques commémoratives.

Il y a, dans le jardin des invalides, une belle statue-fontaine. Elle s’appelle la «Parole portée », en hommage aux victimes du terrorisme. Elle est là depuis 1998. Une femme décapitée porte entre ses mains son visage, qui parle encore, qui parle toujours, qui ne se taira pas. Elle porte témoignage, elle porte la parole au-delà de la mort, elle est fontaine de vie qui ne s’arrêtera pas, elle dit le hurlement face à l’abomination de tous les ordres de la terreur. Elle dit aussi la résistance face aux actes qui veulent museler nos consciences, faire taire une parole libre.

Cette parole, nous devons la reprendre de cette tête qui la porte pour nous, vers toutes nos bouches éveillées, pour dire que nous voulons porter encore haut les lumières de la France : Liberté, Egalité, Fraternité. Mais  disons NON à l’état d’urgence permanent et cette prolongation qui fait des lumières de la France un tremblotement de chandelles asthmatiques, à l’heure où les fraternités, il n’y en a plus beaucoup, les inégalités beaucoup trop et qu’on s’astreint désormais à réduire la liberté.

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