Bonjour tristesse et … Au revoir

Le volcan
Le volcan

Ce fut un mois de novembre rouge et noir, un mois de colère et de sang, un mois qui devrait nous alerter sur les temps à venir. Nul besoin d’être prophète quand les signes de la tempête s’amoncellent, que nous voyons chaque jour les uns et les autres se crisper sur des identités fantasmées, des rêves d’âge d’or illusoires et qu’on regarde atterrés se construire les boucs émissaires et les abattoirs.

Il y a un état d’urgence, oui. Urgence à revenir à un état d’être humain respectueux de la vie, de l’autre et de ses différences, respectueux de cette terre que nous empruntons à nos enfants. Urgence à cesser de ne voir que des profits à courts termes, à cesser la traite d’êtres humains, la maltraitance des hommes et de la nature au nom de la performance. Urgence à créer un autre futur, solidaire et détaché des notions de pouvoir et d’argent. Il y a urgence à évoluer autrement, à ne pas voir comme seuls signes de réussite le fait de pouvoir consommer et détruire sans limite, de ne pas avoir de comptes à rendre. Il y a urgence à voir le sans abri qui meurt de froid à côté de nous et de nos sacs de course.

Nous ne pouvons construire de futur à l’humanité sur des fondations qui nient ou l’individu, ou le groupe, ce dernier non au sens d’un clan fermé de village, mais bien au sens de l’ensemble des êtres vivants sur cette terre. Les premières sont tueuses de liberté, les secondes sont tueuses de solidarité. Que l’on nie le libre arbitre de l’individu ou qu’on le porte aux nues sans se soucier d’altruisme, et nous finissons au même résultat, l’impossibilité de vivre ensemble ou tout simplement l’impossibilité de vivre dignement pour un très grand nombre.

Notre monde regorge de violences. La première de toute est de ne pas écouter, de ne pas accepter, l’altérité.

Croire qu’un petit nombre de nantis peut exprimer l’ensemble des points de vue et décider légitimement pour tous, est une illusion dangereuse. Vouloir réduire les problèmes à un seul axe, pour en théorie simplifier et aider les gens à comprendre, n’aide en rien. La plupart des gens comprendront plus vite des choses … fausses et réductrices.

Les choses ne se nomment pas d’un seul point de vue et elles ne se nomment pas de tout temps et en tout lieu de la même façon, parce que nous grandissons, nous apprenons, par nos sens et nos esprits, en fonction d’où nous vivons, d’où nous partons et où nous allons. Il est primordial d’accueillir le visage et la parole de l’autre, son autre façon de voir et de nommer, pour s’engager dans l’humanité, comprendre nos vulnérabilités et le sens de la réciprocité, mais comprendre aussi nos responsabilités les uns envers les autres, à ce jour et pour demain.

Les injustices se font de plus en plus criantes. Peu ont tout, voire plus que tout, puisque dans l’incapacité d’en profiter dans l’espace d’une vie, tandis que d’autres n’ont même pas de quoi vivre au jour le jour. Les uns rêvent d’immortalité et les autres, le plus grand nombre, de survie. Cette extrême injustice engendre des réactions extrêmes, dont celles des extrémismes religieux.

Futur incertain
Futur incertain

Le problème des extrémismes religieux n’est pas tant le besoin de trouver des réponses définitives dans les religions du livre mais ce qui y conduit. Croire que ce qui est écrit vaut pour les siècles des siècles et ne souffre pas de changement, c’est vouloir ignorer le mouvement naturel du monde, notre absolue vulnérabilité, nos faiblesses et le fait que non, tout n’est pas voulu, tout n’est pas rationnel et logique. C’est la peur de la souffrance et l’impossibilité de donner un sens à ce qui nous semble des injustices, réelles pour certaines, imaginées pour d’autres, qui conduisent à d’autres souffrances, en donnant des réponses toutes faites, des certitudes qui limitent notre champ de vision et de compréhension. L’incertitude est la seule réalité.

La peur de cette réalité nous conduit à l’acceptation passive d’une volonté qui nous dépasserait en sagesse, et cette passivité ne nous permet plus de réaliser notre libre arbitre et d’évoluer en humanité. Rêver d’un monde meilleur, ailleurs, c’est baisser les bras devant la possibilité de le construire ici-bas.

La réponse du livre de Job sur le mal et la fatalité est ainsi bien ambigüe. Quelque part, le mauvais sort frappe aussi bien le juste que l’injuste et le Dieu de Job se situe lui-même par-delà le bien et le mal, d’une certaine manière, il pourrait être même pervers aux yeux de la morale humaine. Il n’empêche pas la souffrance, il peut même la provoquer et il souhaite être adoré en dépit de tout, pariant et jouant sur la vie des hommes. Comme un père battrait son enfant sans faute commise, juste pour lui apprendre le respect.

Nous savons, par expérience, que ceci n’enseigne que la violence aveugle, et pousse à la transmettre par filiation. Cela pose la question même du sens d’un Dieu conscient, compatissant et omnipotent qui aurait fait les hommes à son image et qui regarderait les hommes avec bonté. S’il était tel, comment pourrions-nous le dédouaner des souffrances du monde ? Pour le pari d’une autre vie qu’il nous donnerait à la fin des temps ? C’est là une bien étrange promesse, celle qui ne peut jamais s’accomplir qu’avec la disparition de tous ses témoins.

la foi des fourmis
La foi des fourmis

Sinon, nous ne sommes peut-être que des fourmis aux yeux du Dieu de job et nous ne verrons jamais de lui, qu’au pire, le pied.

A quoi sert à la fourmi de détester ou de vénérer le pied ? Ce dernier a peut-être écrasé une fourmi dans le cours de sa marche sans intention aucune et c’est sans intention à nouveau qu’il pourra recommencer. Que ce pied soit mû par une conscience ne change rien au fait que la fourmi n’entre pas dans le champ de cette conscience et qu’il est inutile pour elle de faire des sacrifices pour que le pied se détourne. Les fourmis n’ont d’autre choix que de se protéger elles-mêmes. Elles le font avec rigidité, nous avons la capacité de le faire avec intelligence. Certes, notre monde est anxiogène.

Notre sort n’est jamais en rien garanti, l’incertitude est notre lot et nous n’oublions pas que nous allons mourir. Pourquoi dès lors ne pas nous protéger les uns les autres, nous aider pour limiter ces souffrances ensemble, plutôt que d’attendre de l’aide d’une entité dont nous ne pouvons juger des motivations ? Nous savons que nous sommes humains, cela seul devrait nous suffire pour reconnaître à autrui, son statut de frère en humanité.

Beaucoup de personnes voudraient simplement qu’on les écoute, exprimer leurs peurs, leurs angoisses, leurs désirs. Ils aimeraient être rassurés, entendre peut-être dire qu’il y a une logique dans tout cela, ou du moins juste qu’on leur dise qu’ils existent, qu’ils ne sont pas livrés seuls dans un monde sans repère de sens. Dans cette immense marée d’hommes et de femmes qui désirent qu’on les écoute, malheureusement, peu sont près à écouter l’autre, le vrai autre, dans son mystère et ses autres repères. Ce manque d’écoute conduit aux pires dérives .Fondamentalistes religieux, gourous, sectes, vendeurs d’espoirs, partis extrémistes, font miroiter le marché des certitudes faciles et la promesse d’être entendus. Contre la peur de l’incertitude, combien sont prêts à brader leur propre conscience et leur capacité à construire eux-mêmes leur système de valeurs ? Il y en aura toujours trop.

Que les foules soient prêtes à réentendre ce vibrant« Je vous ai compris », je le comprends et je le déplore. Parce que c’est le moteur pour commencer à acquiescer à des discours au mieux creux, au pire terribles contre l’altérité ou simplement, hypocrites, voire véhiculant et justifiant une extrême violence économique et politique. La peur du lendemain justifie trop aujourd’hui de déresponsabiliser les citoyens de leur propre destin et d’accréditer a contrario, dans le politique, des logiques économiques à sens unique, qui ne prennent nullement en compte l’ensemble des parties prenantes dans des choix qui hypothèquent notre futur. Quelle est la réelle « souveraineté » des peuples aujourd’hui, ici, en Europe, et dans le reste du monde ?

Enfermement
ENFERMEMENT

Comment des nations se prétendant « démocratiques » peuvent décemment accepter l’Arabie saoudite au conseil des droits de l’homme ? Comment peut-on demander à chaque individu toujours plus de responsabilité dans sa façon de se nourrir avec des slogans pleins de bonne volonté et ignorer qu’à côté 30 à 40% des gaz à effet de serre proviennent de l’agriculture industrielle ? Comment ignorer que l’agriculture mondiale pourrait aujourd’hui nourrir 12 milliards d’être humains, que nous sommes moins de 7 milliards et que 100 000 personnes meurent pourtant de la faim chaque jour? Un enfant en meurt toutes les cinq secondes. Comment d’un autre côté, une firme telle que Monsanto a pu survivre à un demi-siècle de scandales sanitaires et vendre sur la durée des produits monstrueux pour tout l’écosystème du vivant ? Total est à l’agenda des solutions de la cop21. Que dire également des tractations d’ExxonMobile au sein de ce même agenda. Comment parler d’un monde sans carbone et sans énergie fossile avec les plus gros pollueurs de la planète? Et que dire des multiples scandales des laboratoires pharmaceutiques ? N’y-a-t-il pas la notion de « crime contre l’humanité » dans la guerre économique ?

Il y a un moment où financer des emplois n’est plus une excuse pour financer des dérèglements environnementaux, sociaux et éthiques et faire payer à des populations entières le prix du profit de quelques-uns. Mais les pouvoirs de lobby sont tels, que les décisions politiques ne font plus qu’entériner des mauvaises solutions et réagir aux désastres une fois ces derniers produits. Ceci a tout pour nous rendre tristes et peut être aussi en colère. Toutefois je ne laisserai pas cette tristesse obstruer l’horizon, je ne laisserai pas la colère ouvrir la voie de l’amertume.

Je refuse les solutions qui se construisent sur l’ostracisme, sur des logiques de « clans » où on cherche davantage à accentuer les divisions entre les hommes qu’à faire évoluer l’humanité. Ces clans où la haine ou bien la peur de l’autre deviennent les lessiveuses de l’esprit. Je refuse de ne plus croire en cette humanité malade, je continue à penser qu’elle peut cesser de s’abîmer de son propre chef. Je crois qu’on peut encore recréer le futur.

On peut aussi décider de vivre en accord avec soi-même, ne pas chercher des réponses toutes faites fournies en kit par des apprentis sorciers, se tourner vers d’autres modes de partage, de collaboration, qui ne serait pas que des accroches « vendeuses » pour remaquiller une économie qui va jusqu’à marchander l’être humain, ou juste une façon de mettre de nouveaux gourous sur le devant de la scène. Il y a un autre futur possible que celui de la destruction de nos consciences et du monde. Je n’ai pas de réponses toutes faites sur comment y arriver, je ne veux surtout pas en avoir.

Il y a un chemin à construire et c’est en avançant pas à pas, en prenant le temps de se poser les bonnes questions et d’avoir des doutes, mais aussi en agissant en accord avec cette promesse incertaine, que nous planterons les graines de ce futur. De toutes les façons, l’orage est là. Ce n’est pas en refusant de bouger sous la pluie qu’on évite d’être mouillé. Alors bonjour tristesse et … au revoir, il y a un futur à (re) construire avant que nous ne fassions encore plus de dégâts.

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