Il y a plus de vingt ans, j’ai lu la « cavalière Elsa » de Mac Orlan.
Je ne me souviens pas précisément du texte. J’ai souvenir qu’étant adolescente le personnage d’Elsa m’avait à la fois fasciné et rebuté. Peut-être parce qu’au début j’y voyais une sorte d’idéal féministe de pureté révolutionnaire ramené à une poupée à la fois naïve et perverse, manipulée, rêvant devant les strass d’une robe de mariée. Elsa meurt à la fin deux fois. Elle essaie en dernier recours de changer la farce de sa mort en choix. Son dernier acte est le point culminant de sa tragédie de pauvre actrice sur le théâtre de sa vie, pleine de bruits de fureurs, mais ne signifiant rien. Shakespeare n’est jamais loin, comme le rappellent les noms de deux lieutenants de Dorodjine, Falstaff et Hamlet.
La cavalière de Mac Orlan est instrumentalisée dans l’œuvre pour devenir une égérie révolutionnaire et mystique, conçue de toutes pièces pour rassembler les hordes, qui sert les intérêts de personnages odieux.
Le roman est grinçant, joue sur le registre de la farce, montre le grotesque derrière la parade du sublime des idéaux. Certes, l’œuvre, publiée en 1921, peut paraître datée. C’était d’ailleurs le principal reproche fait par les critiques à son époque. Paradoxalement, elle y a survécu pour devenir un livre classique, mais inclassable.
Dans toutes les références à l’époque de son contenu, je n’en retiens pour ma part, confusément, que quelques lignes intemporelles. La construction des dictatures par la propagande et la manipulation des foules qui veulent croire, les grandes inquiétudes des débuts de siècle. Face à cela, les réactions partagées entre accès de futilité, de cynisme, de nihilisme ou d’angoisse, de ceux confrontés à un monde qu’ils sentent aller vers la destruction. Et à la fin, la mort du sens.
Je crois que c’est ce qui m’a le plus marqué, dans l’ambiance de ce livre dont les souvenirs me restent confusément comme ceux d’un rêve. Le sentiment de l’inéluctable, le doute au sortir de la Grande Guerre sur l’avenir des hommes qui massacrent leurs semblables, l’envie de faire table rase face au dégoût du passé pour instaurer un nouvel ordre , qui n’est lui-même qu’une tentation mortifère. Comment empêcher la destruction sans créer plus de monstruosité et d’arbitraire ? Cent ans après, tout cela résonne en écho.
« Ce qui permit au veau d’or de devenir un culte, c’est principalement qu’il était un veau. Nous ne pourrons jamais édifier l’âge et le culte du moteur d’or. C’est très révolutionnaire, mais ce n’est pas humain ». Quoique… le transhumanisme semble vouloir franchir un cap de cette nature. Mais la question qui me taraude n’est pas là.
A la cavalière Elsa Grünberg à la jolie tête blonde, une collégienne de 15 ans qui sait que son âge peut plaire, se superpose la figure de Greta Thunberg, ses nattes et sa jeunesse. Certes, Greta n’a rien de la féminité perverse d’Elsa, de sa langueur et de sa grâce corrompue.
Mais Greta de tout son jeune âge se dresse pour mobiliser les foules au nom d’un idéal, d’une sauvegarde, avec une forme de mysticisme dur. Elle me rappelle alors au souvenir d’Elsa, du rôle qu’on lui a assigné.
Loin de moi l’idée de suggérer que Greta est manipulée, ce serait simpliste et ferait le jeu des climato-sceptiques. Mais je sens comme l’a senti Mac Orlan, cette urgence planétaire et ce sentiment impuissant des désastres à venir qui me donne la nausée. Pour tout ce que les hommes vont encore faire, même confrontés à l’abîme et les moyens qu’ils emploieront. Dans ce crépuscule de la raison, je vois aussi le besoin primitif de croire à tous prix à une figure d’innocence déifiée. Parce que la notre nous manque pour imaginer pouvoir arrêter la catastrophe.
Greta est une cavalière, comme Elsa. Mais de quelle apocalypse ?