Aujourd’hui j’ai la nostalgie d’un souvenir d’automne. C’était au château de Riell à Molitg les bains. Perché sur une montagne l’endroit nous était apparu après avoir parcouru une route très sinueuse. Le lieu abrite un établissement de cure thermale mais je ne sais rien des cures qui s’y pratiquent et peu m’importe. Nous étions en septembre, il n’y avait plus de curistes ou de touristes. Mais il y avait ce jardin avec des paons en liberté, des arbres bariolés et l’or du soleil qui couvrait les feuilles d’étincelles. L’esprit de l’automne se dévoilait en déchiquetant et en jetant au vent ses habits de lumière, dans la solitude d’un lieu rendu aux murmures. Nous étions enveloppés par ce sentiment enivrant d’être à la fois seuls au monde et inclus dans la matrice de la terre mère, enfants parmi les enfants de sa fratrie innombrable. Souvent en septembre, quand les jours se font pluvieux et gris, j’ai la nostalgie d’autres automnes. Je rêve d’un temps au-delà du temps, de jours vécus que j’accroche à ma mémoire comme des breloques protectrices. Ce sont les feux que je recherche quand je sais que l’obscurité approche. Ce n’est pas de la nuit dont j’ai peur, mais de ce moment où je ne saurai plus apprécier les couleurs, les joies simples et que je ne saurai plus imaginer des visages et des mondes dans l’écorce noueuse des arbres. Je ne veux pas vivre dans un monde sans beauté, ou sans plus savoir en reconnaître la beauté. J’écris pour me libérer de cette peur. Parce que l’obscurité vient parfois quand on cesse de la craindre. Comme on se brûle, quand on ne sait plus ressentir la douleur. Je ne sais pas à quoi « sert » l’écriture. En fait, c’est inexact. Je n’ai aucune envie de théoriser sur ce à quoi sert l’écriture, pour qui, et quelles sont les fonctions du langage. Mais je sais très bien en quoi écrire m’est indispensable. Pour me souvenir et rêver encore. Puis, si mes mots ont ce pouvoir, partager ce rêve, un élément de notre condition humaine mais qui nous emmène au-delà. L’écriture nous renvoie le reflet de ce qui nous fait humain, tout en nous permettant d’entreprendre la traversée des miroirs.
