Les masques ne tomberont pas en avril

Bataille Anges Indifférents
Bataille d’anges indifférents

A nouveau quelques phrases viennent, comme la feuille verte au bout de la branche qu’on croyait morte. L’encre comme la sève combat le silence. Ce n’est même pas la vie, c’est la conscience qui tenaille. Elle veut son jeu de cache-cache entre l’être et le néant, pour pouvoir rire encore de l’inutile. Ecrire, créer, c’est se sentir vivant. Mais jouer avec les mots pour échapper au vide a perdu beaucoup d’intérêt ces temps-ci. Parce que les mots se sont mis à sonner creux. Ils ont été habillés de couleurs qui n’étaient pas les leurs. Ils ont été mâchouillés comme des chewing-gums de synthèse pour être recrachés en petits morceaux fades, postillonnés avec une conviction falsifiée. Tout ne semble plus être qu’un exercice de communication où l’objectif est d’atteindre le point d’équilibre entre l’absence de sens déterminant et l’engagement émotionnel. Dans cet exercice un certain équilibriste n’hésite pas à faire le grand écart entre des positions improbables. On ne peut parier sur la stabilité à long terme d’une telle posture qui devrait inquiéter plutôt que rassembler. Faire croire qu’en politique il y a tout, sauf de la politique, c’est un tour de passe-passe. Il n’y a plus de réflexion, il n’y a plus que des réactions. Elles s’enchaînent les unes aux autres sans cohérence. Puisque nous avons perdu le langage et que nous sommes perdus dans des éléments de langage, les mots ne désignent plus de substance, ils ne servent qu’à masquer ou obtenir des intentions. Les masques dominent car il faut cacher encore un peu cette absence de fond derrière les illusions de grandeur. Puis donner l’impression qu’on va faire un grand bond en avant en retournant un peu plus en arrière. Comme elle est triste cette Vème république qui n’en finit pas de tuer la démocratie dans le formol de ses institutions. Liberté-égalité-fraternité, vraiment ? Et quoi d’autre ? Corruption, dogmatisme, sectarisme, hybris, esprit revanchard, victimisation, mesquinerie, orgueil, mensonges, vacuité, opportunisme, populisme, nationalisme, ambition personnelle ? Lesquels de ces mots correspondent le plus à une réalité en cette période d’élections ?

Pensées profondes
Pensées profondes

S’il y a un complot, c’est la conjuration des imbéciles. Mais les imbéciles ne peuvent se conjurer, ils ne font que se conjuguer. Sans cesse, ensemble, ils osent repousser la frontière de la raison et laisser entendre pour vrai leur génie. Au fond, à force d’essayer d’y faire croire, ils y croient eux-mêmes, surtout s’ils ont l’impression que les autres ne les soutiennent pas. Ils se méprennent sur la phrase de Swift «Quand un vrai génie apparaît dans ce bas monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui». Par un effet de sophisme invraisemblable, les imbéciles qui ont une cour se reconnaissent du génie quand ils sont moins suivis. Le monde m’échappe ainsi je m’échappe du monde dans mes rêveries. Au fond d’un océan, dans les salons d’un Titanic fantôme, j’assiste au bal des sirènes. Je les fais danser avec une beauté enfuie, elles ont des poésies en bracelets de cheville, les peintures de la renaissance sont leurs corps et leurs cheveux, elles n’embrassent que qui rougit. Là-haut, les peintures sur les tee-shirts, les posters et les mugs de thé, éviscèrent le secret des images qui n’ont plus rien à dire. Les individus sont une galerie marchande. Là-haut, il y a la fête des fous qui cherche à élire son pape. Les bruits de casseroles y font comme un charivari organisé pour un futur mariage mal assorti.

Fête des fous
Fête des fous

Songer seulement qu’on vous donne en mariage aux prétendants à la présidence de la France. Soudain, l’idée d’élire un futur conjoint rend le choix de ne pas choisir plus attractif. Quand il n’y a plus de confiance, il ne peut y avoir ni guide, ni compagnon, ni soutien. Pourtant, il faut croire que l’amour est aveugle puisque certains candidats restent en lice quoiqu’il arrive. Des prétendants qui ne vous demandent pas de les aimer, mais de les soutenir quand ils vous mentent, cela ne fait pas rêver. Ce n’est pas un mariage où les conjoints auront le même poids de parole, visiblement. Maintenant, je me méfie de ceux qui font campagne sur le rêve, aussi. On en connait les arrière-pensées. « Une politique qui ignore le rêve est une politique qui se trompe sur la nature de ceux qu’elle prétend conduire » aurait dit Mitterrand. A l’aune des conseils d’un maître du théâtre politique, je crains les masques des promesses et ne me trompe pas sur la nature du troupeau ni de ceux qui veulent le conduire. D’ailleurs, il y a des « pontifex maximus » qui aspirent à la présidence en cherchant à susciter la ferveur populaire en vénérant des reliquaires. Ceux des présidents défunts, De Gaulle ou Mitterrand, par exemple, à chacun sa croix. Ces reliquaires ne contiennent pas des os mais des mots fossilisés, c’est tout comme. On dirait que les grands moments de la Vème République, ce ne sont que ses bons mots et ses « petites » phrases historiques. Tiens, à propos de petites phrases. S’il n’y a pas de monopole du cœur, il n’y en a pas du rêve non plus. Quand mes deux oreilles, à droite et à gauche, entendent les chants du « peuple », mon cœur et ma raison trouvent la pièce trop axée sur les lendemains qui déchantent.

Le roi triste
Le roi triste

La Ve république oscille entre la comédie de mœurs et la farce moralisatrice. Si dire « peuple » est un raccourci pour parler d’un patchwork de citoyens qui s’enrichissent du partage d’influences individuelles, d’origines et d’esprits divers, pourquoi pas. Si le mot « peuple » évoque le lien de coutumes et d’institutions communes, pourquoi pas encore, surtout si on évite le sectarisme et la croyance dans l’esprit vertueux des communautarismes. Ces derniers n’ont jamais préservé quelque liberté que ce soit dans la construction d’un avenir commun. Mais en vérité le mot peuple n’en appelle pas à l’éveil de citoyens. Le mot est plus le cache-misère des idées ou un argument de vente pour maintenir appauvri le débat politique. Mais voilà qu’on nous parle du vote utile. De distraction cela devient tragédie. On peut se poser la question de savoir si Cassandre n’a pas été un moment écœurée de prédire. Schiller lui fait dire, du don d’Apollon « « Rends-moi mon aveuglement; rends-moi le bonheur de l’ignorance. Je n’ai plus chanté avec joie, depuis que tu as parlé par ma bouche. Tu m’as donné l’avenir, mais tu m’enlèves le présent, tu m’enlèves la félicité de l’heure qui s’écoule. Oh ! Reprends ta faveur trompeuse. » Le monde a perdu ses citoyens, il n’y a plus que des peuples qui sont abandonnés, ou qui se croient élus. Parfois, ils s’élisent et s’enlisent dans des identités rapiécées qui manquent d’esprit. Les loups avancent masqués, ils ont remisés leurs chemises brunes au placard, mais parfois sous le masque, le mot dérape. La vérité cherche à percer un jour dans un mur. La gaffe sur la rafle, quelle beauté! Mais les autres murs, ceux où les gens épanchent leur insignifiance, sont prêts à la masquer à nouveau. Le vote utile n’est pas non plus un acte citoyen. C’est un autre masque pour la farce. Non, les masques ne tomberont pas en avril. La vérité ne se découvrira pas d’un fil. Nous ne devons pas devenir pour autant des hommes creux, des ombres sans formes ni substance laissant la stérilité envahir nos royaumes. Nous devons regarder droit dans les yeux aveugles des masques et les interroger. Est-ce ainsi que prend fin le monde ? Ou avons-nous encore la force d’espérer en plus d’humanité ? Le Titanic où je rêve a déjà fait naufrage. Quand j’entends les cris des convaincus par des imbéciles (je n’ose souligner plus l’épaisseur du trait), je m’imagine toujours dedans à écouter les poésies de mes sirènes. Elles n’ont rien à voir avec notre vote « démocratique » qui est en train de finir en queue de poisson … d’Avril. « Desinit in piscem mulier formosa superne ».

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