Que peuvent bien être « les valeurs de la république » et que veulent dire ceux qui s’y réfèrent ?
J’aime la phrase proposée par Mona Ozouf « en république, liberté est donnée aux individus de décider eux-mêmes des buts qu’ils poursuivent, sans autre passeport à présenter que leur simple appartenance à une humanité commune » . Bien sûr, il faut adapter cet idéal abstrait avec une dose non négligeable de pragmatisme aux réalités de la vie en commun, Mona Ozouf l’exprime. Mais l’idéal de la république de créer des individus responsables, autonomes et solidaires, ne peut et ne doit se dissoudre dans le communautarisme ou le « national-populisme » et au nom des moyens, il ne faut pas décrédibiliser le but.
L’idéal républicain diffère en politique sur les moyens, il ne doit pas différer sur la vision impulsée par la « Déclaration des droits de l’homme de 1789 » et, plus encore, sur l’espérance d’une vie où la liberté de croire, la tolérance, la justice, la solidarité seront présentes et où violences et brutalités de toutes sortes ne seront ni acceptées silencieusement, ni justifiées ou légitimées. Nul groupe ou individu n’a de droit inné, légitime ou acquis de dominer un autre groupe ou individu et de lui imposer sa vision de la « liberté » ou de « l’égalité ».
Dans une république, je ne devrais pas avoir à payer un seul euro pour avoir le droit d’exprimer mon opinion sur ceux qui veulent être représentants des citoyens. Je ne devrais pas non plus avoir à payer pour demander des comptes à tout Agent public, de son administration. Dans une république, je ne veux pas avoir à signer une charte où l’on présuppose que les « valeurs républicaines » peuvent être de droite, du centre ou de gauche, ou plutôt qu’elles sont d’un côté ou de l’autre. Je prends ici la liberté d’exprimer mon désaccord sur ce point et bien d’autres.
Si la déclaration de 1789 évoque en introduction qu’elle est issue de la volonté des Représentants du Peuple Français, (entendez l’ensemble des parties prenantes gouvernées par l’assemblée nationale), les articles parlent de « citoyen », ou « d’homme », pas de « peuple ». Car on ne peut garantir des droits -certes dans le cadre d’une constitution d’un Etat- qu’à des hommes « libres et égaux » et surtout, différents les uns et des autres, pas à un « peuple », car cela reviendrait à nier la liberté individuelle.
Dans ce contexte de définition des droits et des libertés, que veut dire populisme ? Rien. Cela ne veut rien dire. Sauf à annoncer qu’on voudrait afficher être « du côté du peuple » de quelque côté que l’on soit et quel que soit le peuple. Mais qui est ce « peuple » fantôme, qui serait « un » et non fait de volontés, de coutumes et de croyances hétéroclites et disparates ?
Il n’y a pas de réponse, que des fausses routes, dont celle du « national-populisme ». Que veut dire national populisme? Le fait d’expliquer ce qu’est le peuple, qui peut en faire partie ou non, sur la base d’exclusions et non d’inclusions. Et une république national-populiste n’a de valeurs que pour ceux qui font partie du peuple ainsi normé, en contradiction avec l’art 1er de la déclaration de 1789 et avec les définitions de liberté et de loi juste. C’est une république fantôme, sans esprit et sans droit.
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. » et « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société.«
La déclaration de 1789 est à dépoussiérer, à compléter, c’est un fait que je ne nie pas. Pourtant il y a déjà là l’espoir de droits que nous devrions préserver, quand la peur du futur, l’individualisme, la recherche du profit, l’avidité, ne connaissent plus de frontières, ni éthiques, ni physiques.
C’est l’espoir même repris et développé dans la déclaration universelle des droits de l’homme signée en 1948 par les 58 États Membres qui constituaient alors l’Assemblée générale de l’ONU. C’est une déclaration de foi « dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes », dans « le progrès social » et « de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Cette déclaration dont nous fêterons l’anniversaire des 68 ans le 10 décembre prochain est l’espoir même de l’avènement d’une conscience à l’humanité, « d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère. »
Quand Alep meurt sous les bombes, est-ce pourtant encore temps de rappeler un espoir qui n’a jamais empêché aucune guerre? Que pouvons-nous attendre et de qui ? Il y a vingt-cinq ans, avant même Srebrenica, nous disions « jamais plus » et cela fût encore, malgré des nations dites « unies ». Qu’allons-nous dire, pour enterrer Alep, de ce que nous aurions pu faire ? Comment puis-je malgré le souvenir, encore et toujours vouloir attraper la lumière dans ma toile, fileuse d’ombres parmi les ombres ? Tisseuse d’espoirs, je continue ma trame qui se mêle et se démêle de tout et de rien, dans l’absence d’un motif réel d’espérer.
Pourtant, il le faut. L’impuissance est pénible et douloureuse, mais elle ne doit pas nous conduire au cynisme du renoncement. L’espoir est ce qui nous rend capables de voir briller les étoiles, aussi lointaines soient-elles.
Un jour, peut-être, le ciel se penchera pour un baiser. Un jour, peut-être, le ciel sera confiant comme un sourire d’enfant.
Un jour peut-être verrais-je mes souvenirs comme une coulée d’encre noire disparaître de mes nuits blanches, se fragmenter en vols d’étoile et de lumière.
Mais mon cœur est trop rouge pour absorber cette noirceur, coups cris combats, chocs je chuchote martyrs murmures … Je vous entends et je pleure en silence mes mains clouées en vol, incapables de fendre le ciel pour vous. Enfermées dans leur impuissance.
Il y a, dans beaucoup d’endroits du monde, des murs qui se souviennent de noms qui furent portés, des murs qui se souviennent des déportés. Les murs ont dans leur cœur gravé : « souvenez-vous de nous ».
Combien de murs devront nous construire encore pour dénoncer les murs de nos silences ?
« Un mur dénonce un autre mur
Et l’ombre me défend de mon ombre peureuse,
O tour de mon amour autour de mon amour,
Tous les murs filaient blanc autour de mon silence. »
Oui souvenons-nous, mais pas pour nous convaincre que nous ne pouvons rien faire d’autre que de construire des murs.
Nous sommes plus que de boue, nous sommes capables d’autre chose que cela et nous ne devons pas nous résigner à être dressés les uns contre les autres. Nous devons croire à nouveau en la possibilité d’une humanité confiante, généreuse et sereine, pour qu’elle puisse exister.
Sous le poids de notre quotidien banalisé, marchandisé, terrorisé, financiarisé, abimé, dévasté, exploité, au chevet de notre planète malade et notre humanité à la dérive, il faut se rappeler l’immensité du ciel. Il faut redonner à l’Homme la promesse du ciel : pas le ciel des religions, pas celui des endoctrinés, pas celui des tours aveugles, pas celui du néant. Celui des étoiles, celui qui nous appartient à tous et que nous ne pouvons posséder, celui qui est dans les yeux brillants des enfants, celui qui de tous temps a fait rêver les hommes et nous a rendu plus grands.
La promesse du ciel des étoiles, c’est celle qui nous murmure, même dans la plus noire des solitudes, que quel que soit l’endroit où nous sommes sur cette terre, nous pourrons un jour parler le même langage, et comprendre puis construire, un rêve commun.
Dans ces jours sombres, il est devenu urgent de regarder vers les étoiles. Ce sont elles qui peuvent nous redonner l’immensité du rêve. C’est une question de survie, car l’humanité n’aura pas trop de cette immensité pour se détourner de la tentation du néant.