La bête n’est pas morte, ses têtes repoussent

La bête de l'apocalypse
La bête de l’apocalypse au 21e siècle

Le 8 novembre 2016, les américains se sont réveillés avec du Trump sur les mains. Ce jour a vu la victoire d’une campagne d’un homme aux propos homophobes, racistes, sexistes, xénophobes, antisémites et violents. Quelle que soit son attitude par la suite, quelle que soit sa réelle capacité à mettre en place ce qu’il a promis – et on ne peut que constater que ses promesses aberrantes ne pourront sans doute pas être tenues – il restera toujours la tâche indélébile de ses propos, repris et soutenus par des millions d’électeurs. Comme Lady Macbeth vont-ils gémir à présent et dire « Va-t’en, damnée tache ! Va t-en, je te dis ! » Tous les parfums d’Arabie n’adouciront pas l’odeur de bourbier et de charnier de cette campagne, qui a soulevé la vase de l’intolérance, de l’obscurantisme et de la violence atavique, de foules aveugles guidées par l’unique envie d’en découdre face à un système qu’elles subissent mais ne peuvent comprendre, pas plus qu’elles ne savent ou ne veulent s’impliquer pour le maîtriser. Il est significatif que cette victoire soit saluée par tous les tenants du « national-populisme » en Europe. Je ne suis pas sûre que Monsieur Trump soit populiste, au fond, il est surtout opportuniste et sans éthique, mais il a ouvert la porte aux démons cagoulés de l’intolérance. Que veut dire, Monsieur Trump «rendre l’Amérique grande à nouveau»? A quelle grandeur faites-vous allusion ? A celle contenue dans les vers d’Ema Lazarus, et gravée sur le socle de la statue de la liberté ? Je me permets de rappeler cet extrait à votre bon souvenir:

« Keep, ancient lands, your storied pomp! » cries she With silent lips. « Give me your tired, your poor, Your huddled masses yearning to breathe free, The wretched refuse of your teeming shore, Send these, the homeless, tempest-tost to me, I lift my lamp beside the golden door!« 

liberté en chômage technique
Chômage technique

Non, monsieur Trump, vous n’êtes clairement pas sur cette ligne-là. Vous n’êtes pas un homme qui va construire des ponts entre les mondes et tendre la main aux pauvres, aux déshérités. Vous n’allumerez plus la flamme du phare guidant les migrants vers un nouveau départ. Bartholdi peut se retourner aussi dans sa tombe, sa statue ne gardera plus la tête haute pour un idéal international républicain. Nos temps ne sont plus ceux-là. Partout, en Europe, sonne le glas de l’autonomie de la justice, de l’indépendance des médias et des libertés individuelles. Par-delà les mers, l’élection américaine agit comme une apocalypse, au sens premier : une révélation sur les temps à venir. Et je vous dis qu’il n’y a aucune raison de se réjouir, telle une cassandre qui pleure déjà la chute de Troie et la plongée dans l’abysse. Vous, hommes qui vous dites de bon sens, bientôt vous jetterez vos semblables sous les ponts ou plutôt, vous préférerez construire un mur pour séparer les « bons » citoyens des autres. Qui décidera des méritants? Au nom de quelle doctrine? Qui décidera ceux qu’on doit abattre comme des chiens et ceux qui sont de pure race? Il est facile de se gausser de l’idéologie simpliste et mortifère de Daesh. Mais dites-moi aujourd’hui, qu’oppose-t-on aux criminels, au nom de la lutte contre la criminalité? Je frémis de penser que les moyens pour lutter contre la barbarie vont devenir eux-mêmes des moyens pour museler toute pensée libre. Nous pouvons oublier d’ores et déjà la lutte pour l’égalité des sexes (nous savons tous ce que vous pensez des femmes et ça ne va pas loin), la science guidée par le respect des êtres vivants et non le profit, la prise en compte de la crise environnementale. Les foules craignant de ne plus avoir leur idéal de consommation, une maison, deux voitures, des portables dernier cri, le confort d’une vie passée à acheter des choses dont elles n’ont pas besoin, les foules vont se mobiliser pour protéger leurs propres chaînes et vont hurler derrière ceux qui crieront le plus fort et leur promettront monts et merveilles. Vous, monsieur Trump, vous avez beaucoup crié, beaucoup promis. Ça n’a pas beaucoup élevé le débat et cela nous précipite de plus en plus vers l’abîme, mais j’imagine que vous vous en lavez les mains plus facilement que Lady Macbeth, n’est-ce pas ?

Déjeuner aux bords des enfers de Dante
Déjeuner sur l’herbe aux bords des enfers de Dante

Qui va payer vos grands travaux, l’assèchement de vos marais pontins, Monsieur Trump ? Allons, toute personne qui a tant soit peu affaire à l’histoire sait que les régimes autocratiques et fascistes sont tous passés par un grand interventionnisme de l’état, une politique de grands travaux et le développement du secteur industriel militaire, pour relancer la « grandeur de la nation ». L’Allemagne, l’Italie en leur temps …. Et vous monsieur Trump, comment allez-vous faire pour «Make America great again»? Emprunter à la Chine, au Mexique ? Emprunter à vos entreprises, les Gafas ? Nationaliser ? Bon courage pour assumer vos contradictions !

Vous savez ce qui m’inquiète le plus, monsieur Trump ? Ce n’est pas vous. C’est le fait qu’il y en ait tant qui vous ressemblent et qui ont obtenu les rênes du pouvoir, en Turquie, en Hongrie, en Pologne, et le pouvoir d’influer ailleurs sur le destin de nations, comme le Brexit de l’Angleterre. Ce que dit Kadri Gürsel sur Erdogan peut aussi bien vous être transposé, un homme « portant les marques de l’hybris, la maladie de l’ego, autodétermination messianique, perte du sens des réalités, intolérance à la contradiction et folie des grandeurs« . Nous pouvons hélas l’appliquer ici, en France, à certains de nos hommes, ou femmes, politiques. Monsieur Trump, vous avez fait basculer une des plus grandes démocraties du monde dans le national-populisme. C’est effectivement le danger des démocraties. Avec 27% tout au plus des citoyens (si seulement la moitié vote), on peut mettre au pouvoir des hommes dangereux, de par leur autosatisfaction et leur démesure.

Parfois, grâce au vote démocratique, hélas, on peut aussi accoucher de dictature, n’oublions pas le 5 mars 1933. Ceci devrait nous faire réfléchir, ici, en France et ailleurs, tant qu’il en est encore temps. Croyez-vous que celui qui crie le plus fort est celui que vous devez suivre, parce que vous êtes en colère contre un système sans doute lui-même injuste? Mais êtes-vous des rats ou des enfants pour vous laisser charmer au premier joueur de flute, comme dans l’histoire de la ville de Hamelin? Souvenez-vous, quand vous danserez sur l’air entraînant du «great again», que l’intolérance n’est pas, ne sera jamais, une réponse pour construire le futur et que cet air là peut vous mener vers des contrées désertées par la lumière. Ce n’est pas en prônant le retour à des « valeurs » supposées avoir existé dans le passé, ou en revenant sur des pratiques d’un autre âge, qu’on se crée un avenir.
Aucune nation n’en sort grandie.

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