De la tolérance

et de quelques autres délits d’opinion

Etre ou ne pas être Charlie, telle n’est pas la question. C’est être libre et accepter que l’autre le soit que nous interrogeons derrière l’affirmation.

Je suis Charlie, mais « je » est un autre

mélancolie éditoriale
Mélancolie éditoriale

Tenir un « journal de la guerre du crayon » depuis le 8 janvier est devenu une véritable gageure. Je ne publie pas souvent en vérité, non pas que je n’aie pas matière à publier, mais plutôt que chaque sujet autour de la liberté d’expression soulève toujours d’autres questions dont faire vite le tour relève de l’escamotage intellectuel. Il n’est pas toujours aisé de se porter à soi-même la contradiction et l’exercice du « journal »  implique cette insatisfaction de ne pouvoir être réfutée de façon saine si je me fais de fausses idées, ou si je pars sur de mauvaises questions. Je me pose beaucoup de questions en ce moment, c’est sans doute d’ailleurs pour cela que j’ai du mal à développer mes sujets, hésitant sur la bonne question à choisir pour tirer mon fil conducteur jusqu’au bout.

Par exemple, combien de « mais » peut-on mettre derrière la phrase « je suis pour la liberté totale d’expression » ? Je me demande également en quoi on peut assimiler le fait d’être athée avec du terrorisme. Etre athée ne signifie rien de plus que sans Dieu(x). C’est un choix personnel qui a lieu dans l’intimité de l’esprit qui le fait. Y-a-t-il une violence à le dire ? Depuis quand une opinion personnelle, si elle est exprimée par la voix ou par le crayon, ou par le vêtement, peut-elle être assimilée à un tir à balles réelles ou à une explosion meurtrière, ou à une torture mentale volontaire, quand elle n’exprime rien d’autre qu’une opinion personnelle? Pourquoi la longueur d’une jupe est une question politique ? Quand est-ce qu’on demandera aux derniers indiens d’Amazonie de se rhabiller de pied en cap et au nom de quoi, la perte de leur identité ? Est-ce que tous les hommes ont naturellement au cœur l’amour de la liberté et la haine de la servitude (une phrase à rendre à César, en passant)? Ou n’aurions-nous pas atteint, dans une certaine apparence de démocratie, grâce à la consommation et au divertissement, une forme de servitude librement consentie, que nous chéririons ? Pour autant, si je puis critiquer cette forme de servitude, je ne suis pas prête à l’échanger contre cette autre servitude à des tyrannies religieuses qui n’ont d’autre puissance que celle que des fous leur donnent.

J’ai sans doute beaucoup de mauvaises habitudes, mais j’évite de prendre celle d’être servile.

Joconde narcisse
Joconde narcisse

Autre chose, j’aime à me promener dans les musées, j’ai foi en l’art d’une certaine manière. A tel point que les innombrables individus qui prennent des selfies devant des toiles de maître m’exaspèrent et me semblent proches du blasphème. Suis-je en cela extrémiste et puriste ? En même temps, j’ai toujours imaginé pouvoir rentrer dans une toile, donc que font-ils, si ce n’est  se mettre en situation de le faire? Pourquoi dès lors m’indigner plus que nécessaire quand ils n’abîment rien d’autre que mon champ de vision et cela, temporairement? Autre paradoxe en passant, j’avoue ne voir dans Marc Rothko qu’une intéressante vibration de couleurs mais non la dimension spirituelle intense  qui vaudrait des millions. Qu’en est-il donc dès lors de ma foi en l’art ? Est-ce que cela fait de moi une athée de l’art moderne (si, si, il y a des divinités et des dogmes dans ce milieu …)? D’ailleurs moderne par rapport à quoi et jusqu’à quand ? Les historiens français ont décrétés que les temps modernes se sont arrêtés lorsque, pour citer Desproges, une brassée d’excités prit vaillamment d’assaut une Bastille quasiment vide, un jour d’été 1789 …

Depuis, j’imagine que nous ne sommes plus des modernes, ni même des classiques, nous sommes justes contemporains de nos médiocrités communes.

Art conceptuel
Art conceptuel

Tolérance, liberté, vérité, servitude, blasphème, démocratie, politique, opinions, modernité, que ces mots peuvent, suivant qui les manipule, faire un cocktail explosif! Le jugement, le sens ou la spiritualité de toute chose sont dans l’œil de celui qui regarde, à une poussière ou à une poutre près. Ce qui m’amène à m’interroger sur le sens de cette phrase « je suis Charlie », née après le 7 janvier 2015. Plus de six mois après le bel élan de rassemblement, qu’en a-t-on fait ? Certains, convaincus par ailleurs de l’importance de la liberté d’expression, craignent de perdre les nuances de leur jugement en la prononçant et devenir ainsi assimilés à toutes les opinions passées ou à venir du journal Charlie Hebdo. C’est prendre les choses au pied de la lettre et au final, se prendre les pieds dans le tapis avec de mauvais arguments. Quand le roi Christian X du Danemark menaça d’être le premier citoyen à porter l’étoile jaune si les Allemands en imposaient le port aux Juifs, voulait-il dire qu’il était juif ? Avait-il la moindre intention de se convertir au judaïsme, en souscrivait-il à toute la doctrine ? Pas le moins du monde. Mais l’attitude de ce roi et des citoyens de ce pays en se préoccupant du sort des juifs Danois comme du sort de chacun d’entre eux, en les traitant comme leurs frères humains et leurs semblables, a fait que leur sort justement a été nettement meilleur que dans bien d’autres pays qui ont collaborés …

Dommage que cet élan d’humanité soit si rare et perdure si peu souvent. Quand Kennedy a lancé sa fameuse phrase « Ich bin ein Berliner“, a-t-il pris la nationalité allemande juste après ? Bien sûr que non. Est-ce que les américains pouvaient prétendre à représenter réellement « le monde libre » ? C’est très loin d’être évident. Mais si on relit le discours, « ich bin ein Berliner » dit que tout citoyen épris de liberté ne voudra pas construire des murs entre les hommes et interdire qu’ils se mélangent et se parlent. En ce sens, nous pouvons souscrire à la phrase. Je suis citoyenne du monde. Je porterai l’étoile jaune si vous voulez la faire porter à d’autres, je dirai « Ich bin ein Berliner » devant tous les murs indignes quand je le pourrai. Ce pourquoi je nommerai aussi le Geder HaHafrada, du nom de « mur de la honte » et c’est devant lui que je me lamenterai, si jamais je dois lui faire face…

Le 8 janvier 2015, j’ai écrit sur ce site, en commençant ce journal, « Je suis Charlie ». Aujourd’hui j’écris, aussi bien que demain, « je suis Charlie », comme j’écrirais : aujourd’hui, je ne suis pas catholique, pas musulmane, pas orthodoxe, pas juive, pas bouddhiste, pas hindouiste, pas chaman, pas athée, même pas agnostique, car au-delà de toute contradiction, aujourd’hui, je ne suis qu’un être humain parmi d’autres, un être vivant pour qui aucune croyance, aucune religion, ne justifie d’enlever la vie d’êtres humains qui ne vous auront offensé que parce qu’ils ont su rire de tout, et surtout d’eux-mêmes. Le figaro de Beaumarchais se pressait « de rire de tout avant d’être obligé d’en pleurer », faut-il désormais parce qu’on ne veut pas être obligé d’en pleurer, « mourir d’en rire »?

le sourire de Voltaire
Voltaire et son sourire

Peut-être que parfois le rire blesse quand il raille trop mais je ne peux comprendre que ce soit un prétexte pour tuer. Vous ne voulez pas rire de tout, soit. Laissez la politesse ou la bravade de l’humour à ceux pour qui cela évite de trop pleurer et pour les autres « non ridere, non lugere, neque desterari, sed intelligere » (« ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas détester, mais comprendre », Spinoza). Je comprends qu’on puisse hésiter à endosser l’habit «Charlie», car, même si je souscris à cette sentence de Voltaire, «Le seul parti raisonnable dans un siècle ridicule, c’est de rire de tout», ainsi que Montaigne, « Je n’ai point cette erreur commune de juger un autre selon ce que je suis ». Mais ne pas vouloir dire « je suis Charlie » parce qu’on estime que le journal écrit (ou dessine) des choses bêtes et méchantes (en même temps, il aura prévenu) revient à se tromper de débat. Nous commençons borgnes et allons finir aveugles dans le regard que nous jetons sur le symbole. Dire «je suis Charlie» c’est dire que chacun d’entre nous est prêt à descendre dans la rue avec un crayon dessiné sur le cœur, s’il faut prendre pour cible la liberté de parole et d’opinion.

Cela ne veut pas dire pour autant souscrire à tout ce qu’on pourrait vouloir faire passer au nom de « Charlie ». Il ne faut pas, j’en conviens, être naïf, ni relâcher notre vigilance sur l’usage qui peut être fait des symboles de rassemblement, mais ne commettons pas l’erreur de les mépriser et de les refuser pour une signification qui n’est pas la leur et que certains voudraient leur faire endosser.

L’héritage de voltaire

La liberté d’opinion est menacée depuis que l’homme est homme. Avec le chevalier de la Barre, ce n’était qu’un chapitre d’une longue histoire inscrit aux temps modernes, ou presqu’au début de notre histoire contemporaine. Pour montrer ce qui était en cause, on brûlait un livre avec un homme. Et quel livre si ce n’est le dictionnaire philosophique de monsieur Voltaire qui croyait qu’avec la plume on peut chatouiller les sots et les dévots. Cela certes les fait éternuer mais d’aucuns diront que l’éternuement provoqué par le livre a mis le feu aux poudres. Ce sont sottises également car :

«Ce n’était qu’un début. Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes. »

hommage à Magritte - le dernier espace
Le dernier espace – hommage à Magritte

La bêtise et la haine ordinaire finissent par faire croire qu’il est intelligent de chercher à les apaiser, à ne pas se confronter à elles. Faut-il dès lors ne plus se montrer libre et craindre que d’autres s’affichent comme tels pour ne pas provoquer la colère de sots ? Mais ils trouveront toujours d’autres prétextes pour se sentir offensés de la liberté de penser ou d’être des autres : jupe trop courte, cheveux aux vents, menton lisse, ne vous faites pas d’illusion ! Je ne pense pas pour ma part qu’exprimer avec la raison nos doutes ou nos indignations puisse justifier une colère digne de raison, pas plus qu’un graffiti obscène ne mérite une colère sans borne. Et je suis surprise que des gens raisonnables soient prêts à abandonner l’idée de raisonner sur certains sujets de peur «d’offenser» ceux qui ne pensent pas comme eux. Faut-il, au nom du respect, douter même de la raison de s’exprimer librement ? Qu’est-ce donc que ce respect si ce n’est alors de se refuser le droit d’être libre et pareillement, refuser que l’autre le soit « trop » ?

Je doute que l’humanité soit arrivée à un stade de maturité suffisant pour que le respect de l’autre et de ses opinions soit aujourd’hui une bonne garantie d’échanges apaisés, tant cette notion de « respect » n’est pas la même pour tous. Je doute donc, car j’ai l’esprit enclin au doute et au scepticisme quant aux capacités de tolérance des hommes et sur l’existence d’une notion universelle de ce qui peut se tolérer. Ne serait-ce point d’avoir apprécié souvent l’esprit de Voltaire et son « hideux » sourire ? Même si cela ne m’empêchera pas d’être critique vis-à-vis de lui également. Pour l’heure je me contenterai d’aimer sa face exposée aux lumières, celle de la tolérance et de la liberté. C’est donc d’une moitié de Voltaire que je vais m’armer dans cette guerre du crayon, parce qu’il y a une autre moitié qui s’accommodait bien des errements et des préjugés de son temps. On me pardonnera, en étant du mien, de ne guère l’aimer, cette autre moitié.

Je n’aime pas plus ceux qui utilisent Voltaire à leurs propres fins. Certains prennent ses phrases prudentes à double sens pour appuyer ses contradictions ou leurs propres opinions que peut-être – j’insiste sur le peut-être – il était loin de partager. Il est trop facile d’imaginer Voltaire croyant, avec l’horloge et l’horloger, ou le salut à Dieu. L’un est d’un esprit qui croit en la raison en toutes choses – après tout si cet univers fonctionne il faut bien que les rouages suivent une logique se dit-il. Mais dites-moi ou est l’écrit qui prétend que cette logique est du registre de la morale humaine ? Une mécanique d’horloge n’a point de sentiments. Voltaire échange des saluts avec Dieu mais ne prétend pas lui parler et pas plus parler en son nom.

Quant au réseau Voltaire … il n’a gardé du philosophe que le nom, pas l’esprit (ou alors celui de sa face cachée). Dans tous les cas, si on doit aux morts la vérité et un peu plus d’égards pour l’intelligence des vivants, il aurait été judicieux de renommer cette chose-là. Car si l’on suit Voltaire, certes le doute est salutaire dès lors qu’il faut être fou pour croire avoir toujours raison, mais il est tout aussi fou de créer des doutes là où il n’y en a pas, et, aveugle à la raison, d’affubler ces doutes des dentelles ridicules de certitudes, pour prendre des songes pour des réalités. Gardons de l’héritage du trait Voltairien ce sourire sceptique sur tant de choses et sa vraie indignation contre le dogmatisme et l’intolérance. Quoiqu’il ait pu dire de Machiavel – et peut-être le tenait-il en meilleure estime que ce qu’il en a dit pour faire un trait d’esprit, Voltaire partageait, sans aucun doute cette fois, au moins cette pensée-là de Nicolas:

Je penserai toujours que ce ne peut être un tort de défendre une opinion quelle qu’elle soit du moment que c’est par la raison, et non par l’autorité et par la force

Nicolas Machiavel

Les théories du complot ne défendent rien par la raison et ceux qui veulent définir les limites de l’acceptable dans la critique du dogmatisme, au nom de l’autorité intellectuelle, ne font rien de bon non plus pour garder la raison au moment où les passions s’exacerbent au moindre trait jugé trop provocateur. Le problème c’est qui juge de ce qui est délibérément provocateur, qui juge de ce qui est blasphème et qui décide quand la satire est « acceptable » ? Pour qu’elle soit acceptable faudrait-il qu’elle ne montre que les défauts des puissants et non les traits exacerbés chez certains ou chez tous ? Est-ce qu’une satire peut-être une satire si elle se garde d’offenser quiconque?

Prenons un certain manifeste (à lire sur https://firstlook.org/theintercept/2015/04/30/145-pen-writers-thus-far-objected-charlie-hedbo-award-6/ ) signé par plus de 200 écrivains anglo-saxon. Ceux-ci s’indignent du prix PEN «Courage et liberté d’expression» décerné à Charlie Hebdo le 5 mai 2015. Et voilà une querelle déclenchée dans le landerneau littéraire (landerneau international qui n’a rien à voir avec la Bretagne mais landerneau quand-même) qui ne manque pas de piquant par ce qu’elle dévoile. Je doute en premier que les auteurs aient lu réellement les différents articles de Charlie Hebdo, voire qu’ils aient cherché à le faire, voire qu’ils aient pu le faire (c’est bête c’est un journal français ce n’est pas écrit en anglais), Entre le journal et le manifeste des 204 auteurs, au poids du papier et des mots il y a plus dire sur le premier que le second (451 mots, concis, prévu pour le Web) mais je m’arrêterai sur celui-ci car en faisant court, il fait aussi des raccourcis dangereux, de sérieuses confusions et des amalgames douteux.

La controverse des borgnes

Trouver le trait juste ou justice du trait?
Justice du trait

J’ai un problème sérieux avec cette notion de différence critique entre être prêt à soutenir une « expression qui viole l’acceptable » et « la récompenser avec enthousiasme ». Les auteurs du manifeste contre le prix PEN décerné à Charlie Hebdo, sont pour une liberté d’expression totale où on peut tout dire et que parce qu’on peut tout dire ils soutiennent Charlie hebdo mais comme ils jugent les propos de Charlie inacceptables – donc probablement condamnables –ils ne veulent absolument pas lui décerner un prix. D’abord je m’interroge, où placent-ils la ligne de l’acceptable ? Ils s’en expriment plus loin, il est inacceptable de caricaturer tout le monde de la même manière dans un pays où tout le monde n’est pas traité de la même manière. De par l’héritage colonial de la France et le fait qu’une partie de la population venue de cet héritage est, selon les auteurs, marginalisée et victime et contient un grand pourcentage de musulmans, les caricatures de Charlie Hebdo seraient forcément plus offensantes pour cette population et véhiculeraient leurs lots d’humiliation et de souffrance. D’autant que Charlie Hebdo aurait du côté du crayon le pouvoir et le prestige et donc une grande responsabilité dans la satire qu’il ne peut se permettre face à des populations démunies voire ostracisées…

Mais de quoi parle-t-on exactement ? D’un journal mourant, en sursis avant les attentats, dont le prestige hélas n’a été rendu international que par la violence avec laquelle on a voulu le faire taire quand il commençait à s’éteindre ? De populations si démunies de tout et en particulier d’esprit qu’elles ne sauraient faire la différence entre la satire d’excès bien trop réels et l’offense individuelle ? Quand Charlie Hebdo caricature des fanatiques de l’Islam, tous les musulmans doivent se sentir offensés ? Et pourquoi, parce qu’ils ont une barbe? Quand le journal use de la satire contre les abus de certains prêtres, tous les catholiques doivent se sentir offensés, y compris ceux choqués par ces abus? Et pourquoi, parce qu’ils portent une croix ? Sous prétexte de retenir son crayon doit-on faire des caricatures qui ne vexent personne ? Pour un américain, caricaturer Obama – en accentuant ses traits – serait offensant, du fait de l’héritage raciste des Etats-Unis, pour tous les américains noirs et pauvres n’accédant pas à l’éducation dans des quartiers défavorisés, par exemple ? Vous allez me dire peut-être qu’Obama ne représente pas cette frange de la population ou alors, que tout dépend des traits qu’on accentue et dans quel contexte… J’en serais alors ravie, parce que nous pourrions commencer à nous comprendre.

Trouvez l'intrus
Trouvez l’intrus

Toutes les opinions ne sont pas également respectables, mais vouloir s’auto-proclamer gardiens de l’acceptable, c’est faire fi de la liberté d’esprit critique de tous les individus. Si l’opinion de la minorité n’est pas exprimée avec la raison mais avec la force, les cris et la violence, je ne puis la tenir pour respectable et ce n’est pas parce que l’opinion de la majorité sera criée plus fort que je la verrai pour plus vraie pour autant. La liberté d’opinion ne veut pas dire que je doive garder une égale critique de toutes les opinions en les considérant toutes comme également vraies. Elles ne le sont pas ! Il n’y a pas plus de raison à tenir l’opinion de la majorité comme vraie que de vouloir protéger la sensibilité liée à l’opinion d’une minorité pour respecter un équitable traitement de tous.

Croire qu’une caricature de fanatiques d’une religion représente une offense aux croyants de cette religion ou croire que dessiner un prophète est offenser son Dieu, c’est cela qui à mon sens est indigne, et fait bien peu de cas du respect de l’intelligence des individus. S’il existe un être suprême que lui importent ces vétilles et la foi ne produit pas toujours des fanatiques superstitieux assoiffés de sang. J’ai trop de respect pour ma liberté d’expression pour ne pas condamner verbalement ce jugement comme une « expression qui viole l’acceptable » à mes yeux plutôt que de la soutenir.

Que vient faire ma moitié de Voltaire là-dedans ? C’est qu’il n’était, dans son temps assez aveuglé par la superstition, borgne que d’un seul côté. Son œil aveugle se fermait peut-être avec de nombreux préjugés, qu’on ne juge pas toujours utile de rappeler. Il voyait bien de l’autre les ravages des superstitions religieuses et de l’intolérance.

C’est sans doute la faute à Voltaire si nous Français, sommes un peu borgnes aussi dans nos satires et la faute  à Rousseau si nous sommes si souvent moralisateurs sur les droits de l’Homme.

Mais nos auteurs du manifeste sont aussi borgnes. Car dans leur façon de vouloir que justice soit rendue à une liberté d’expression qui ferait le bien de tous et qui serait sans offense, ils oublient que les combats pour la tolérance ne se font pas sans offenser ceux qui ne la tolèrent pas.

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