L’art du silence

Le silence ne punit pas forcément les imbéciles

Sans commentaire

Il y a beaucoup de choses qui me laissent sans voix cette année: les attentats parisiens de janvier, les décapitations à la Daech, la destruction des taureaux assyriens et des sites de Syrie millénaires, l’attaque du Bardo en Tunisie, les co-pilotes dépressifs qui veulent faire parler d’eux, les émissions de téléréalité foireuses ou foirées …

Tant de morts, tant de barbaries, tant de volontés d’exister médiatiquement au prix de tant de stupidités, ou pire, de tant de morts. Ce qui me laisse sans-voix aussi c’est de voir des affiches avec une tête blonde dans l’attitude d’un penseur de Rodin prônant «une autre voix». La voix des haineux, vraiment «une autre voix» qui pense, qui «réfléchit»?

En tous cas, le premier problème est qu’on l’entend excessivement cette voix-là à mon goût. Quelqu’un m’a dit un jour de ne pas répliquer face à des mensonges ou à la malhonnêteté, parce que « le silence punissait les imbéciles ». Voilà typiquement une phrase que je tourne en boucle en esprit, bien plus que 7 fois en bouche, faute de conviction profonde. Est-ce que le silence punit vraiment les imbéciles ? En particulier, est-ce que le silence ne permettrait pas à des idéologies dangereuses car sectaires, rigides et fermées, qu’elles soient politiques, sociales, économiques ou religieuses, mais dans tous les cas dangereuses, de se répandre ?

Le silence, une poule aux ŒUFS d’or ?

Est-ce que le silence des uns n’arrangerait pas beaucoup trop d’autres ? Parce qu’il est un peu une poule aux œufs d’or. Pour tous les haineux, les dogmatiques ou simplement les opportunistes. Il les aide à prendre la place du vide, à étendre leur emprise avec une toile de mots qui à force de revenir, d’être répétés comme des mantras, prennent consistance dans les esprits faibles, les rassurent. Si cela est tant dit, c’est qu’il y a une vérité, non ? Un petit nombre très actif peut faire passer pour acceptables des idées plus que douteuses auprès du plus grand nombre.

Solitude humaine
Solitude humaine

En mars 2014, des chercheurs américains ont publié le résultat d’une étude menée deux ans auparavant. Ils avaient manipulé le flux d’actualités de Facebook sur, une semaine, sur 700.000 utilisateurs actifs anglophones, sélectionnés aléatoirement, pour voir jusqu’où cela influençait leur humeur. Certains ne voyaient plus que l’affichage d’articles faisant état d’émotions positives dans le fil d’actualité de leur profil. A l’inverse, d’autres ne voyaient plus ceux considérés comme relayant des émotions négatives. Suite à cela les messages qui étaient envoyés par les cobayes après exposition à ces articles « positifs » ou « négatifs » ont été analysés. Le résultat ? Ceux soumis à des posts positifs continuaient dans la lignée de publication de posts positifs et les autres illustraient exactement l’inverse, le négatif appelant le négatif.

Les chercheurs ont conclu leur étude en disant avoir amené la preuve expérimentale de la “contagion émotionnelle” par support textuel, contamination qui ne serait ni systématique ni massive mais s’avèrerait réellement sensible sur 0,04 % des utilisateurs testés dans le cadre de l’expérience. J’aimerais qu’on m’explique le « réellement » sensible. Parce qu’il me semble que cela devient assez vite sensible, avant le 0,04%. Mais cela reste intuitif, non étayé.

La contagion émotionnelle

Les post systématiques de petits mots haineux du FN sur des milliers de blogs, de sites de journaux, de réseaux sociaux, est-ce que cela ne concourrait pas à une « contamination » émotionnelle ? A force, les gens s’habituent, peuvent même penser qu’étaler ainsi tant de bassesse, ce n’est pas scatologique, c’est juste logique (de comptoir). D’ici à ne plus hésiter à relayer cette « idéologie », car s’en est une, le pas se franchit aisément.

Prédicateur
Prédicateur à géométrie variable et constantes recyclables

Le dogme du FN cela reste un « c’est la faute des autres » qui se drape d’oripeaux. Idéologie du bouc émissaire, de l’identité des nations, etc ….  Mais l’autre c’est nous-mêmes. Alors que « réfléchit » le FN, si ce n’est l’image de nos peurs ?

Il me semble que pour s’opposer à ce type de discours « FUD » (Fear Uncertainty Doubt) qui invite au final les gens à se précipiter dans le premier piège sécuritaire venu et l’ostracisme, on peut rappeler des faits quantitatifs. Ne pas chercher à en appeler à l’affect, déjà trop malmené, mais revenir à la réalité. Je ne pense pas que se focaliser sur le pourcentage des ultras du FN qui n’ont pas su maquiller leur haine ordinaire avec les bons mots, suffira à faire réaliser combien ce parti se trompe lourdement sur de nombreux sujets, propose de mauvais diagnostics, et des solutions non viables.

 Non, le FN ne pose pas de « vraies » questions, car il part sur de mauvais chiffres et des fantasmes, tout ça pour appuyer de mauvaises « solutions ». Par exemple l’immigration de « masse » est un des sujets favoris du FN. Mais de quelle « masse » parle-t-on ?  La France, avec le Japon et la République tchèque, est  l’un des pays les plus fermés de l’OCDE et non les immigrés ne « volent » pas l’emploi des français (cf. http://www.alternatives-economiques.fr/l-immigration–mythes-et-realites_fr_art_1264_65983.html). Quant aux chiffres factices et fourre-tout du FN sur l’immigration, ils ne résistent pas à ceux des chercheurs, tel François Gemenne, spécialiste des flux migratoires.  Dans un article de Rue98, il rappelle que « La France est une exception parmi les pays industrialisés, où l’immigration rapporte presque toujours plus qu’elle ne coûte […]Je considère que les études de l’OCDE sont les plus complètes et les plus robustes. Le FN sort des études et des contre-études.».

Ensuite, pour prendre un autre exemple, le mythe d’un franc qui empêcherait contrairement à la monnaie unique des crises de spéculation est complètement hallucinant si on prend le temps d’analyser la crise de 92 qui montre justement le contraire … (cf. cet article sur les « marchés attaquent la crise monétaire de 92-93) . Bien sûr, les faits aussi détaillés soient-ils, n’empêcheront pas les fanatiques d’une idéologie d’y croire. Cela fera juste réduire leur pouvoir de conviction vis-à-vis de la grande masse de ceux qui suivent les « voix » les plus fortes. Par pitié, ne réagissons pas par la peur, l’émotionnel, le fantasme, face au FN. Laissons leur ce créneau et montrons plutôt leurs erreurs, leurs approximations, voire, carrément, leurs mensonges.

Il me semble ici que le silence ne punira pas les imbéciles. Au contraire il leur laissera le champ libre. Mais il n’y a pas que le dogme du FN devant lequel le silence est une arme inefficace. L’Homme est ainsi fait qu’il invente sans cesse des dogmes à géométrie variable, tous agitant des illusions dangereuses et des systèmes de valeur clos positionnant « l’axe du mal » où bon leur semble pour établir des frontières discriminantes entre les hommes, et non des ponts pour les rassembler.

Le silence de l’indifférence est pour les statues

Incommunicabilité
Incommunicabilité

Serions-nous incapables de vivre ensemble dans le respect de nos différences? Faut-il toujours chercher à imposer à l’autre son point de vue? Mieux vaut le silence si l’échange ne peut avoir lieu, mais méfions-nous sous couvert de dignité de voler le silence des statues. Le silence des hommes peut-être autrement dangereux car il n’y a pas loin du silence à l’indifférence. C’est avec douleur que nous sommes sortis des labyrinthes du silence du siècle passé et nous n’en avons pas fini d’en découvrir d’autres, certains se construisant aujourd’hui ou depuis des siècles.

Le 18e siècle, censé être celui des lumières, a vu la fin d’une époque dans des soubresauts chaotiques de terreur , le 19e siècle s’est illusionné de progrès magique au prix du mépris de l’Homme que sont les différentes formes d’esclavage (ouvriers, colonies, apartheid …), le 20e siècle a été infâme, débutant les génocides par les arméniens et ne trouvant plus de limites à la moulinette de l’horreur, Shoah, grandes famines en Chine et en Ukraine, génocide cambodgien ou rwandais, génocide de Srebrenica … Que peut-on dire du 21e siècle ? La barbarie s’exprime à nouveau au nom de religion, qu’elle ait  pour nom celui de Dieux uniques, ou d’Economie. Nous n’en finissons pas de souffrir de Dogmes réducteurs qui essayent de simplifier l’ecosystème complexe dans lequel nous vivons à quelques règles arbitraires, comme si nous n’étions toujours pas capable d’accepter le doute et l’éveil des consciences en créant de nouveaux modèles d’équilibre tenant compte de systèmes de valeur variés.

La barbarie de l’économie

On peut se dire qu’il est impossible de comparer la barbarie de l’économie à la barbarie politique ou religieuse, par exemple celle de Daech. Bien sûr, l’idéologie de l’état islamique est une dictature sanglante qui ne peut provoquer que l’horreur. Mais ce que vous voyez là de si évident, qui saute aux yeux, conduit parfois à ignorer ou mésestimer l’effet pernicieux et dangereux d’autres dogmes qui donnent accès à un confort quotidien aujourd’hui à beaucoup mais qui menacent la survie de tous dès demain. Non, la façon d’aborder l’économie n’est pas innocente et elle aussi conduit à des crimes contre l’humanité.

Car, oui, certaines théories économistes peuvent receler des dogmes idéologiques de nature quasi religieuse aussi dangereux que d’autres dogmes, en particulier celui de Milton Friedmann, l’apôtre du « le seul but d’une entreprise est de faire du profit pour ses actionnaires » dont la conséquence logique est de dire qu’une entreprise serait mal gérée si elle se souciait de responsabilité environnementale et sociétale. Les dogmes économistes avancent masqués sous couvert de rationalité.

Je ne trouve pas plus rationnel pour ma part de croire en la « main invisible du marché » qui régulerait de façon naturelle les rapports de force dans la mesure où la recherche par chacun de son intérêt personnel concourrait à l’intérêt général, que de croire en un Dieu omniscient et omnipotent, capable d’édicter les frontières du bien et du mal et d’intervenir pour nous maintenir dans le droit chemin.

Indifférence complice

Qu’y a-t-il de commun entre le Chili de Pinochet, l’Amérique de Reagan ou l’Angleterre de Thatcher ? le dogme de Milton Friedmann. Ces trois cas illustrent surtout le fait qu’une économie libérale débridée n’a absolument pas conduit à un reversement (un « ruissellement » des richesses) mais plutôt à des inégalités exacerbées. La main invisible l’est restée aussi dans ses supposées effets. L’intérêt général n’a absolument pas prévalu, en aucun lieu, dès lors que l’intérêt personnel était libre de s’exprimer en « toutes libertés » sans aucun frein à l’égoïsme ou au court-termisme. A l’échelle mondiale, on a assisté également à une accélération de production, depuis le milieu du 20e siècle, qui nous a fait entrer dans l’ère de l’anthropocène.

Bien sûr, on trouvera toujours des climato-sceptiques – souvent curieusement rattachés à la défense de l’ultralibéralisme – pour prétendre que toutes les études scientifiques se trompent à ce sujet. Seulement, ces études sont aujourd’hui tellement qualifiées quantitativement, tellement objectives et détaillées, que leurs détracteurs leur opposent non plus le « credo quia absurdo » mais le « non credo quia absurdo ». Nous ne pouvons que constater que la croissance économique à tous prix comme seul modèle viable, sans tenir compte des impacts, conduit à une planète invivable.

Il est toujours aisé de prétendre que les théories économiques à la Milton Friedmann ont fait moins de mal que les autres dictatures idéologiques. Aisé, parce que ce mal s’est exprimé de façon indirecte et sur le long terme et n’a jamais été mesuré. Mais l’empreinte écologique dévastatrice de nombreux secteurs industriels, les logiques de l’industrie agroalimentaire ou des laboratoires pharmaceutiques, qui tous font passer le profit avant la santé ou la recherche d’un équilibre des bénéfices entre toutes les parties prenantes, tout cela est mortel à moyen et long terme dans le tissu éducatif, sanitaire, environnemental, pour l’humanité toute entière.

Qu’on continue à respecter les principes de Friedmann comme immuables et inattaquables, et qu’on évite de trop parler des conséquences de ce dogme, me semble là également un exercice subtil d’art du silence. Lequel est celui aussi de tous, dans l’indifférence complice avec laquelle beaucoup acceptent un modèle de développement insoutenable comme un bon modèle, parce qu’il a été beaucoup enseigné et appliqué. Nous a-t-il conduit vers un présent et un avenir radieux ? J’ai quant à moi un sérieux doute.

Le silence du mandarin

Le silence du mandarin
Le silence du mandarin

Je ne condamne pas l’entreprenariat ni la logique de marché. Non, les entreprises pour moi ne cherchent pas consciemment à faire du «mal» ou «LE mal». Elles sont justes dans le dogme de la course au profit à court terme et dans un environnement concurrentiel modelé par ce dogme. Si elles ne donnent pas la rentabilité escomptée aux actionnaires – qui estiment que c’est leur droit le plus strict au nom du « dogme Friedman » de réclamer toujours plus de retour sur investissement, toujours plus vite, ils iront mettre leurs capitaux ailleurs et l’entreprise périclitera au profit d’un concurrent plus efficace ou simplement moins … moralisateur ? Superbe justification du « si ce n’est pas moi, un autre le fera ».

La réalité c’est qu’une entreprise ne peut pas avoir plus d’éthique que les consommateurs de ses offres et produits. Si ces derniers n’ont pas de conscience sociale ou environnementale, si cela ne les gêne pas d’acheter à bas prix des articles forcément fabriqués dans des conditions « rustiques », du moins en matière de droits humains fondamentaux, pour faire dans l’euphémisme, parce qu’il n’y a pas de miracle dans la réduction des coûts de production, pourquoi faudrait-il jeter la première pierre aux fabricants des produits ?

Le silence des consommateurs est le silence non des agneaux, mais celui du mandarin. En référence à la métaphore attribuée tant à Jean-Jacques Rousseau, qu’à Balzac ou Chateaubriand, du meurtre d’un homme extrêmement éloigné (un chinois à l’origine), meurtre en toute impunité et «dématérialisé » sans aucune nécessité de se salir les mains, mais qui apporterait un avantage conséquent. Une métaphore qui a inspiré la nouvelle de Richard Matheson puis le film « la boite ». Ici, profiter de conditions avantageuses en tant que consommateur sans chercher à en savoir plus sur le produit c’est illustrer magnifiquement la phrase d’Alain « Chacun, à toute minute, tue le mandarin ; et la société est une merveilleuse machine qui permet aux bonnes gens d’être cruels sans le savoir ». Mais il n’y a nulle fatalité. Nous ne sommes pas condamnés au silence. Clients, salariés et patrons peuvent se sentir responsable et ne pas laisser les entreprises devenir cette machine de cruauté par procuration.

la loi du silence – l’omerta

Certes, rompre la loi du silence n’est pas toujours facile pour des salariés lanceurs d’alertes qui se trouvent plus souvent piégés par leur conviction que remerciés pour leur action. Sans parler des amalgames entre « celui qui parle » et d’obscurs délateurs. En France, on ne « dénoncerait » pas. Ce genre de «loi du silence » ne donne du pouvoir qu’aux petits malfrats de cours d’école ou aux gros mafieux de tous bords.

Dénoncer des méthodes de production cruelles ou profondément injustes qui font fi de l’humanité, des marchés véreux, des médicaments dangereux, des pressions inadmissibles, du harcèlement, des maltraitances, des scandales mettant en danger la santé publique ou l’environnement, ce n’est pas dénoncer un individu de façon malhonnête, méprisable ou honteuse, c’est être au contraire responsable éthiquement et moralement en tant que citoyen de ce monde.

Mettre les deux choses au même niveau, comme certains aiment à comparer les « lanceurs d’alertes » aux délateurs de Vichy, est un raccourci assez ignoble puisque ceux qui parlent sont ceux aussi qui s’indigneraient de la délation. Pour autant cette comparaison qui fleure bon le fumier s’épand largement sur les champs lexicaux des commentaires du Web où les bas d’esprits aiment sévir. Faut-il se taire pour punir les imbéciles ? Voir plus haut. Non, le silence face au moralement inacceptable ne peut se justifier par la peur d’être un « délateur ».

l’enfance de la parole

L'enfance de la parole
Aleph ou L’enfance de la parole

Nous devons réapprendre à parler le langage de la vérité, comme l’enfant qui n’hésite pas à dire : « le roi est nu». C’est à l’enfance de la parole vraie que nous devons revenir. Nous pouvons être citoyens du monde en nous interrogeant sur nos achats, est-ce que payer moins ici ou utiliser des désherbants radicaux, ou vouloir à tout prix le dernier gadget « high tech », ne revient pas à faire porter un coût inadmissible ailleurs aux forêts amazoniennes, aux femmes employées dans les usines textiles, aux esclaves des briqueteries, aux ouvriers et ouvrières des chaines de montage chinoises, aux indiens des usines de pesticides …

La vérité est que les consommateurs sont un contrepouvoir bien plus puissant que les législations d’état qui hésitent toujours à légiférer de peur de « freiner » ce développement économique si ardemment désiré selon des critères de croissance qui restent davantage financiers qu’humains. Nous sommes libres de ne pas acheter. Nous sommes à ce titre tous responsables, au niveau individuel et sociétal, de faire bouger les choses pour que l’éthique soit une condition indispensable à la réussite des organisations. Ce qui veut dire interroger les sociétés, toutes les sociétés, ne pas s’enferrer dans la loyauté silencieuse à une marque ou à un produit ou à une « image », (sémantique utilisée jusque dans la représentation des instances politiques) mais demander des comptes, toujours.

Les sociétés veulent vous faire parler de vos goûts, vos attentes, vos besoins? Demandez-leur alors de parler de leurs méthodes de production, de gestion des ressources humaines, leurs responsabilités sociétales et environnementales … Les sociétés font partie d’un système social, elles ne sont pas des boites noires non poreuses « à côté ». Vous avez le droit de peser sur leurs décisions car elles vous concernent à un titre ou à un autre : patron, employé, client, prospect, citoyen … Il y a toujours de bonnes raisons de se taire, mais il y en a aussi de très mauvaises. Se taire parce qu’il le faut pour contempler ce qui ne peut se dire mais uniquement se ressentir : la beauté de l’instant, d’une statue, d’un arbre, d’un nuage. Se taire devant ce qui est plus grand que nous parce que les paroles sonnent creuses à certains moments.

Savoir se taire à bon escient

Se taire pour partager davantage ce que les mots abîment à délimiter ou se taire pour ciseler les mots qui sauront dire cela. Se taire pour apprendre à écouter le temps passer et choisir son propre rythme dans le cœur du silence. Se taire pour laisser le regard, l’ouïe, le toucher, le goût, exprimer toutes ses dimensions que le bruit des paroles occulte. Il y a beaucoup de bonnes raisons de se taire. Mais se taire parce qu’on ne trouve pas les mots devant la bêtise ordinaire (ou la bête immonde), cela n’a qu’un temps, celui de la réflexion. Il est louable, prudent et mesuré de ne pas réagir à chaud des événements quand on ne dispose pas de toutes les informations. Il vaut mieux chercher, analyser et recouper des sources avant d’asséner une de ces opinions toutes faites.

Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir.

Pierre Dac

Mais se taire quoi qu’il arrive et laisser les cons oser tout sans que la majorité les reconnaisse pour tels, c’est laisser cette majorité finir par prendre pour argent comptant des contre-vérités sur le social, la politique, l’économie, notre libre arbitre, l’humanité, l’univers et le reste. A la fin, le silence n’est plus d’or. Il risque même de nous coûter très cher. L’art du silence, c’est prendre le temps de la réflexion, peser chaque mot, visiter chaque perspective, accepter de douter, vérifier toujours et dans notre silence intérieur, mettre nos idées à l’épreuve, critiquer notre niveau de connaissance, comprendre ce que nous pouvons faire, ce que nous pouvons espérer. Ainsi, l’art du silence, c’est ciseler la bonne parole, pour l’exprimer au bon moment, face aux maux, aux mots, des dogmes.

L’art du silence, c’est savoir aussi cesser de se taire quand le temps est venu.

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