La liberté d’expression ne s’use que quand on ne s’en sert pas

La liberté d'expression ne s'use que quand on ne s'en sert pas

Quand on est vivant, on s’exprime

Clémenceau

Cela me semblait une évidence et j’ai toujours eu foi en cette déclaration. Mais cette foi, est-ce que je la pratiquais? Il a fallu le 7 janvier 2015 pour me rendre compte qu’au-delà de la déclaration de principe, ben … pas tellement. Oui j’exprimais mon univers intérieur à ma façon, mais l’expression de toutes mes indignations, mes réactions face aux absurdités criantes de ce monde, à la mauvaise foi de tant de personnes au nom de leur foi en Dieu ou en eux, je n’en faisais pas état. Petit à petit, pour ne pas en pleurer et parce que je n’arrivais pas vraiment à en rire sans davantage arriver à comprendre ce monde, je devenais d’une certaine manière indifférente. Une phrase, que j’attribue à Arrabal sans doute à tort, mais il aurait pu la dire, m’est revenue cruellement en mémoire « il ne faut pas craindre les assassins, il faut craindre les indifférents car se sont leurs complices. »

Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit,je n’étais pas social-démocrate. Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif. Lorsqu’ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester

Martin Niemöller, pasteur protestant allemand
Kalachnikov

Certains pourraient crier à l’amalgame, au fait que je ferais des rapprochements non pertinents. L’amalgame, pour moi, se situe là où des abrutis brûlent des mosquées sous prétexte de venger des dessinateurs qu’ils ne lisaient certainement même pas (ou alors ils n’ont rien compris), tandis que d’autres décérébrés ailleurs brûlent des églises pour se venger d’un dessin qu’ils n’ont même pas vu, sur des gens qui eux-mêmes n’ont rien à voir avec les dessinateurs, lesquels ne se privaient pas non plus de caricaturer leur religion, puisque toutes passaient au fil du crayon. Pour preuve, le Pape qui rappelle qu’il est pour la « liberté TOTALE d’expression » MAIS … pas celle de Charlie Hebdo.

Aujourd’hui, plus que jamais, méfions nous des raccourcis qui pourraient ou voudraient nous faire croire que des choses injustifiables peuvent être justifiées au nom du respect de l’autre. Et qu’à partir du moment où on respecte l’autre, on doit respecter tous les interdits qu’il s’impose au nom de ses croyances, voire se les imposer.

Le prèe ubu est revenu!
Le Père ubu est revenu!

A ceux qui s’interrogent sur la pertinence de la nouvelle une de Charlie Hebdo (fallait-il à nouveau jeter de l’huile sur le feu?) je réponds qu’il faut effectivement se poser la question, parce que cette question mérite typiquement un débat, mais qu’elle ne peut pas avoir une seule réponse. Ce n’est pas le crayon du dessinateur qui met le feu, il n’est qu’un prétexte. Faut-il se taire pour que les gens ouvrent les yeux? A priori si le moindre prétexte peut être utilisé, le silence n’est pas non plus la solution, parce qu’il est la réponse que la terreur attend.

« La meilleure arme politique est celle de la terreur. La cruauté suscite le respect. Les hommes peuvent nous haïr, mais nous ne leur demandons pas leur amour. Nous n’exigeons d’eux que la crainte et la soumission. » Ces phrases là ne sortent pas de la bouche d’un imam intégriste de Daesh, ce n’est pas une tirade pour justifier un nouvel appel au meurtre que pourrait prononcer un imam salafiste tel Hamadache, ni la profession de foi de Boko Haram, quoiqu’on puisse en douter vu les massacres horribles à son actif. Ce sont justes les mots d’un bourgeois nationaliste et catholique, en un autre temps. Il s’appelait Himmler. D’une part, qui serait assez stupide pour dire qu’Himmler représentait tous les catholiques (un émule de Rupert Murdoch peut-être?), d’autre part qui peut douter de la nécessité de s’indigner et de réagir face à la politique de la Terreur? Comment éviter que celle-ci ne fasse des adeptes? Comment éviter la loi de ceux qui disent « si ce n’est toi c’est donc ton frère? »

Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots

Martin Luther King

Me voici donc a citer un autre pasteur, Martin Luther King, un homme qui militait pour la paix et la non violence, contre la pauvreté, un homme qui incarnait ce rêve de liberté que d’autres portent aussi, par delà les clivages politiques et religieux mais « qu’importe comment s’appelle cette clarté sur leur pas, Que l’un fut de la chapelle Et l’autre s’y dérobât »!

Blasphème

Cette dernière semaine a montré deux ou trois choses qui suscitent autant d’espoirs que d’interrogations sur notre capacité à tous vivre ensemble, sur cette boule plus ou moins bleue où nous nous sommes tous retrouvés à la naissance. Côté espoir, ce sont des millions de personnes, de toutes confessions, croyantes ou non croyantes, qui se sont indignées contre ces meurtres barbares et qui se sont levées contre le refus de la terreur qu’un petit nombre veut imposer à tous.

En même temps, des crispations sont là, des radicalisations apparaissent, qu’on ne peut pas continuer à ignorer et dont il faut comprendre les causes. L’interdiction supposée de représenter le prophète en est une, alors que de magnifiques enluminures n’ont cessé de le représenter a minima du 14e au 18e siècle. Et quand les talibans ont fait sauter les bouddhas de Bâmyân, c’est tout un pan d’histoire qui avait existé avant eux qu’ils voulaient effacer.

Flagellation

Pourquoi cette crispation sur l’image, ce parti pris de se sentir offensé dès qu’on touche à une projection d’identité? Il y a quand même un paradoxe. A priori afin d’éviter l’idolâtrie, on en vient à encore plus sacraliser l’image par le biais de l’interdit. Il est bon de rappeler qu’on met ce qu’on veut derrière un dessin, parfois bien plus que ce qu’il représente, à force d’exagérer le trait, quand on manque de recul. Les caricatures sont justement de cette nature qu’il faut les lire au second degré pour réfléchir, alors qu’elles sont utilisées au premier degré par des manipulateurs pour faire réagir au dernier degré d’humanité, le meurtre.

Oui, les caricatures ont servi de prétexte à tuer, mais à ce stade, si un dessin peut être un catalyseur pour des esprits faibles pour les inciter au meurtre, croyez-vous vraiment qu’il soit difficile de trouver d’autres prétextes? De plus, ceux qui ont tué début Janvier étaient des français, nés dans un pays laïque. Des enfants de notre république, sans doute de monstrueux enfants, capables de se sentir tout fier de passer à la télévision en héros d’une pseudo guerre qu’on leur a vendu comme sainte, alors qu’ils ne sont pas des guerriers, juste des tueurs lâches et stupides. Mais des enfants de notre république quand même, à qui on aurait dû pouvoir apprendre les règles du vivre ensemble, les droits comme les devoirs.

Nos institutions ont failli à cela, en particulier quand ils se sont engagés dans la voie de la délinquance (et on devrait déjà poser la première question, pourquoi se sont-ils orientés vers cette voie?). La prison ne leur a pas appris la réinsertion et le vouloir vivre ensemble, elle ne leur a appris qu’une radicalisation dans laquelle on leur reconnaissait enfin de l’importance. Peut-être ceux-ci n’avaient-ils pas l’intelligence de prendre du recul, mais pourquoi est-ce si facile d’embrigader aujourd’hui en France pas seulement les imbéciles ou les petites crapules mais aussi les enfants perdus en manque de reconnaissance? Nous devons creuser pour trouver les bonnes réponses, pas celles de la répression qui sont non seulement inefficaces, mais dangereuses. Comme nous devons aussi nous interroger sur toutes les prétendues bonnes volontés de condamnation d’un acte visant la liberté de la presse, quand parmi ceux qui condamnent la lâcheté des assassinats perpétrés sur les journalistes, figurent ceux qui condamnent eux-même toute volonté d’expression libre en écrivant à coup de fouets dans la chair même des hommes, l’interdiction de le faire. Il y a là beaucoup de second degré …

En tous les cas, j’en ai assez vu et assez entendu ces dernières semaines pour ne plus vouloir être indifférente, pour ne pas vouloir être complice de toute justification d’inhumanité, d’où qu’elle provienne. Parce que je déteste toutes les armes, dès lors qu’elles ne sont pas purement décoratives, j’entre en résistance avec ce moyen que d’aucun veulent nous faire passer pour une arme dangereuse : le crayon. Ce n’est une arme dangereuse que pour ceux qui veulent empêcher les autres de lire et de réfléchir.

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