Bien sûr que c’est avec sincérité que j’ai entonné le cœur des meilleurs vœux et souhaité du bonheur à revendre à tous ceux qui ont croisé mon chemin en ce début d’année.
Qu’est-ce que vous croyez ?
Reste que chanter la symphonie du bonheur sans faire de fausses notes, en ce moment, c’est périlleux. C’est quoi le bonheur, en plus, pour qui ? Remarquez, l’année dernière aussi et à bien y réfléchir, cela devient de plus en plus dur d’éviter d’avoir l’impression de plaquer un sourire grimé sur des temps assassins.
En 2008, pouvions-nous souhaiter des vœux de prospérité à tous alors qu’il n’était en rien garanti de sortir de la crise financière mondiale débutée en 2007 ? Un tel vœu à l’automne 2008 sentait déjà un peu le faisandé.
En 2009, mieux valait toujours éviter le terme de prospérité, ou celui de reprise, tant on était à la limite d’espérer une petite stagnation à défaut d’un gros krach. Par contre, en début d’année, l’élection d’Obama éveillait l’enthousiasme. Avant même d’avoir rien fait, on lui a dégainé un prix Nobel de la paix. Il a poliment répliqué avec des troupes en Afghanistan, on ne change pas des méthodes qui … quoi au juste ? Mi 2009, la pandémie de H1N1 virait à la tragicomédie en France.
Donc, début 2010, côté vœux, aligner les mots de paix, santé et prospérité, cela ne faisait pas très réaliste, au regard des évènements précédents. D’autant qu’avec plus de 300 000 personnes mortes à cause du tremblement de terre en Haïti en Janvier (directement ou indirectement) …
En décembre 2010, l’immolation par le feu de Mohammed Bouazizi, à Sidi Bouzi, inaugurait une vague de contestations et d’espoirs dans les pays arabes. Début 2011, nombreux étaient ceux qui voyaient fleurir un printemps de renouveau politique et social. Mais les fruits de ce printemps-là sont devenus bien amers, depuis, en Égypte, en Syrie au Yémen ou en Libye. Les vœux de renouveau de 2011 sont, pour la plupart, désormais enfouis sous les cendres de la répression, du conservatisme, des extrémismes religieux.
Ces cendres mortelles sont celles des fleurs d’un printemps d’illusions, qu’on ne peut enfermer dans des conteneurs bétonnés, comme à Fukushima on enferme les déchets végétaux radioactifs une fois incinérés. Depuis 2011. Belle année aussi pour les intolérants avec Anders Behring Beivik, en Norvège. De son côté, la Grèce tente de se libérer de sa dette et s’embourbe dans l’austérité. Début d’un feuilleton dont le FMI ne sort pas grandi, ni par ses idées, ni par ses méthodes.
En 2012, j’aimerais bien ne plus évoquer que le boson de Higgs ou le robot Curiosity sur mars. Pour rajouter curiosité et découvertes sur les cartes de vœux. Au cas où on serait capable de faire autre chose que de rayer les autres vœux (Nota bene pour moi-même : commencez à rayer toute mention de liberté sur les cartes de vœux à destination des russes et des ukrainiens, aussi). En 2012, comme les autres années, on a encore raté la fin du monde … Non pas que nous n’y mettions pas de bonne volonté, avec des tueurs stupides, déterminés, comme Mohammed Merah à assassiner même des enfants à Toulouse parce que … Je laisse un blanc derrière parce que … moi, je ne peux pas expliquer pourquoi. Rien ne tient, aucune explication, aucune justification. Juste la médiocrité de la haine ordinaire qui bascule dans le passage à l’acte.
2013. Mort de Stephane Hessel. On l’a beaucoup critiqué pour le petit opuscule « indignez-vous » et non pas sans raison. Pourtant, il est de notre temps. Hessel disait de ce succès « c‘est encore un étonnement pour moi, mais cela s’explique par un moment historique. Les sociétés sont perdues, se demandent comment faire pour s’en sortir et cherchent un sens à l’aventure humaine« . Il est important que cette quête de sens débouche sur des propositions constructives et pas sur une fuite éperdue vers des valeurs restrictives et autoritaires, prétendument « identitaires » ou « sécuritaires » qui prônent le repli sur soi et souvent le mépris de l’autre ou des libertés sociales. Hessel est mort à 95 ans, comme Mandela, la même année.
Entre les deux décès, il y a eu les bombardements des faubourgs de Damas, des naufrages à Lampedusa, des accidents de trains, des attentats, à Boston et au Kenya, l’intervention de la France au Mali, les révélations de Snowden sur la surveillance étatique des Etats-Unis… la routine s’installe … Il ne faudrait pas non plus que les rêves de paix meurent avec les rêveurs de sens. Alors, nous aurions dû souhaiter à tous, cette année-là, de pouvoir faire plus que s’indigner. En passant, le pape François a été élu en 2013. Il reproduira très bien début 2015 la schizophrénie catholique, entre l’extrême socialisme du christ et le conservatisme de l’église, tendre la joue gauche tandis que la main droite est prête au coup de poing, si «un grand ami parle mal de ma mère».
Cela dit, face à Daesh, « tendre l’autre joue » est un aphorisme dont le sens subtil s’est perdu au cours des millénaires et qui conduit aujourd’hui à une rhétorique difficile. Mais ne vaut-il pas mieux réserver son poing pour ceux qui violent et tuent les mères, plutôt que pour ceux qui caricaturent Dieu le père, YHWH, Jéhovah ou Allah, quelque soit son nom? Après tout, un Dieu doit pouvoir survivre à des chatouillis de crayon …
2014, nous avons eu quelques vaudevilles plus ou moins drôles. Les frasques du président Français, la Russie sous les paillettes à Sotchi, sous les uniformes en Crimée, la révolution de Maïdan où finalement on ne sait plus très bien qui on ne doit pas applaudir. L’armée prend le contrôle en Thaïlande, tradition oblige (comme celle de la dictature et du trafic d’êtres humains…). Qui croit la Thaïlande démocratique ? Levez-la main ! Les touristes européens? Ailleurs, Boko Aram enlève plus de 200 lycéennes. Parce que femmes, parce que étudiantes. Que sont-elles devenues ? Mortes, vendues, esclaves … (nota bene pour moi-même : à destination des filles qui veulent s’enrôler du côté de l’Etat islamiste, je fais le vœu qu’elles acquièrent une cervelle. Ce système HAIT les femmes). 2014 c’est plus de 74 000 nouveaux morts en Syrie, dont 3500 enfants et 15 000 morts en Irak.
C’est aussi la guerre à Gaza, les policiers mexicains qui livrent des étudiants aux narcotrafiquants, le FN aux européennes, les parapluies de Hong Kong, le massacre de Peshawar, l’affaire Michael Brown, Ebola … Quand ce ne sont pas les humains qui tuent ou se tuent par bêtise, il nous reste toujours à espérer une petite pandémie. Dégoûtée, Philae est partie se poser sur une comète.
2015 : j’ai tenu un journal sur le sujet. Je n’ai, bien sûr, pas tout noté, témoignant, forcément subjectivement, à travers le prisme de mes réactions, des événements du temps. Dans tous les cas, ce ne fût pas une bonne année. Par moment, c’était presque à pleurer.
Donc début 2016, j’hésite à souhaiter d’une traite : Santé, amour, réussite, prospérité, bonheur, paix, joie, vérité, amour universel … Et plus je tarde, plus les nouvelles de ce mois de Janvier… me freinent.
Ashes to Ashes. Tu es cendres et tu retourneras aux cendres, ainsi en va-t-il de la chanson, de son interprète et des cendres du renouveau et du Japon, à propos toujours radioactives.
Les mots ne sont pas passe-partout, ce n’est pas vrai, parfois ils butent sur des portes closes que l’on a refermé avec dedans notre trachée, nos cordes vocales et nos illusions perdues. A bout de souffle, on s’époumone à dire le renouveau quand chaque cellule hurle la terreur de se multiplier. Ceux qui connaissent le pouvoir des mots, le tocsin des mots, finissent par les emporter galopant dans leurs cercueils. Parce que l’espoir est trompeur et détient les clés de la peur, quand l’attente est déçue. L’espérance, trop lente à s’échapper, fût le dernier des maux à être resté dans la boite de pandore.
Il est désespérant de faire des vœux, mieux vaut vouloir être. Que puis-je vous souhaiter si vous ne voulez pas vivre, profiter librement et pleinement de cette vie à chaque jour, quoiqu’il en soit des désordres du monde, être heureux par vous-même et partager cette joie autant que vous le pouvez? Je ne puis rien que vous ne pouvez pour vous.
Peut-on juger l’espoir pour toutes les fois où il nous a trahit ? Mais que valent nos espérances et ne sommes-nous pas les premiers à nous trahir et à nous renier, si nous ne savons pas nous engager dans notre propre vie et agir ?
L’espoir est notre faiblesse et notre force. Il est notre force quand il nous fait aller de l’avant et construire le futur, croire en demain en s’investissant maintenant, en profitant et en aimant notre vie, toute vie, dans le moment présent. Il est notre faiblesse quand il n’est que crainte de ce futur et que ce n’est ni le jour présent, ni demain que nous espérons, mais un ailleurs improbable, un songe, une autre vie, fût-ce dans la mort.
Ceux qui ont dit « divorcer de la vie d’ici-bas » en tuant au Bataclan, n’avaient d’espoir que de mourir en martyr, soûlés d’une idéologie où ils se voyaient, purifiés, accéder à une vie dans l’au-delà bien supérieure à celle d’ici-bas. Peut-être certains croyaient-ils réellement cela, tellement manipulés, et peut-être certains, pas tous, croyaient mourir en altruistes pour une cause réelle. Mais ce n’est pas en tuant qu’on épargne des vies. Ou peut-être étaient-ils uniquement motivés par la colère et la rage d’avoir raté leurs vies, une vie sans espoir, faite de chômage et de médiocrité, de violences et d’humiliations quotidiennes.
Ils sont morts et ont tués par ignorance et il eut mieux valu qu’ils aient un espoir constant en la vie d’ici-bas. Quant à l’au-delà, s’ils étaient vraiment croyants, n’aurait-ce pas été à Dieu et non à l’homme de fixer la date de leur mort ? Ont-ils cherché seulement à combattre leurs propres défauts? Car « L’encre du savant est plus précieuse que le sang du martyr ». Nous sommes les témoins de leur échec. Ils n’ont pas réussi le jihad majeur. Ils n’ont pas su se construire et construire leur vie. Mais ont-ils été aidés pour construire? Ils ont en tous cas, été aidés pour détruire. Leur mort est devenue une construction … d’une dimension fantasmatique, maquillant d’oripeaux théologiques, la réalité sordide qu’est la violence de la haine. Elle est utilisée par une idéologie mafieuse, méprisant tout état de droit, qui utilise la façade religieuse pour se légitimer.
De l’espoir du printemps Arabe il semble ne rester que la lueur de la Tunisie, héritage du phare géant de Flaubert qui flambait toutes les nuits de Carthage, lumière d’espoir encouragée par le Nobel de la paix. Une lumière fragile face au chaos en Lybie, Syrie, Yemen ou Egypte où le désespoir brûle les derniers pétales du printemps. Ce chaos, nos états occidentaux, nos gouvernements, y ont contribué pour partie et ils soutiennent des dictatures pour des raisons pragmatiques et économiques. Voici que nous espérons voir l’esprit du jasmin perdurer et que son parfum vienne aux lèvres des jeunes hommes et des jeunes femmes, bien plus que des mots de haine conditionnés. Cet espoir est sans doute beau, mais si nous ne l’aidons pas à être plus qu’un espoir, ce ne serait qu’un vœu naïf et ignorant des faits et de nos responsabilités de citoyens.
« Ma plus douce espérance est de perdre l’espoir » fait dire Corneille à l’infante dans le Cid. Un professeur de français du 19e siècle, Auguste Walras, reprochait à l’auteur la concision admirable du vers en précisant que pour qu’il soit lisible dans le texte, il eût fallu rajouter « ma plus douce espérance vertueuse est de perdre mon espoir amoureux ». Quel dommage que de rendre claire et intelligible une telle expression qui, en l’état, est d’une concision philosophique absolue et peux dire toute autre chose. Elle me fait penser à cette citation de Sénèque « quand tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir ».
Perdre l’espoir, ce serait beau, si ce n’était pas le désespoir mais la volonté qui s’y substituait. Il me vient aussi cette phrase de Victor Hugo, dans quatre-vingt-treize : « En bas il y avait l’espérance, qui serait la plus grande des forces humaines si le désespoir n’existait pas. » Par opposition au haut, le deuxième étage avec son désespoir « calme, froid, sinistre ».
Méfions-nous du désespoir, qui est une force terrible parce qu’elle finit par nier la valeur de la vie même. Méfions-nous de l’espoir, quand il n’est qu’attente et crainte de déception, car un tel espoir ne peut mener qu’à renier un jour tout ce que nous sommes. Apprenons à vouloir ce dont nous sommes capables, pas le pire, mais le meilleur.
Puissiez-vous donc apprendre à vouloir par vous-même et en particulier, vouloir toujours aimer et respecter cette vie, la vie et agir en ce sens. Et puis … « Pour hier, aujourd’hui, demain Faites des bouquets de jasmin, Cueillez, cueillez à pleine mains, Jasmin d’Espagne ou de Madère, Jasmin de Perse ou Cavalaire, Cueillez des bouquets de jasmin».