Que l’Europe est grande à la clarté des lampes, aux yeux du Brexit, que l’europe est petite

Au commencement, c’était une belle idée. Telle une beauté généreuse, Europe ouvrait les bras à la réconciliation. Il n’était plus temps de dompter les peuples par la violence, il fallait les convaincre par les idées. De longtemps ennemis, des peuples voisins étaient appelés à se tenir la main, regarder ensemble vers l’avenir et construire, de par la multiplicité des visions, une union qui serait à la fois économique, politique et sociale, et peut-être les fondations d’un état fédéral voué à obtenir le plus grand bien public pour tous, en respectant chacun.

La raison voudrait qu’on adhère à un tel projet. Mais il y a une arrogante naïveté, voire une forme d’insolence, à parier sur la victoire de la raison. L’Union Européenne est une puissance commerciale, elle peine à devenir autre chose. L’UE a montré malheureusement son impuissance à enrayer les guerres dans les Balkans. Elle n’a pas davantage pu prévenir ou intervenir efficacement au Rwanda, elle a peu de prise sur le processus de paix au Moyen-Orient et si elle est pourvoyeuse d’aide humanitaire en Syrie, elle n’a guère de leviers pour aller au-delà, actuellement déchirée par les conflits internes de ses membres, face à la réalité terrible de l’immigration, qui se compte chaque jour en vies humaines dévastées ou perdues.

Le bilan de la PESC est plus que contrasté et l’Europe, censée être emportée sur les flots par un taureau vigoureux – ce n’est rien moins qu’un Dieu –L’Europe flotte à peine et menace de couler. Son animal totem est devenu la tortue. Au moins la tortue dispose d’une longévité reconnue. Mais pour avancer, s’il lui faut toujours l’unanimité de tous ses membres qu’elle a ici fort nombreux, l’action est compliquée, voire compromise.

Quant à l’aspect social, force est de constater que l’UE n’a pu, pour le moment, vraiment faire le «bien public». Les inégalités se sont creusées, les injustices également et la logique d’un libre-échange non régulé par des principes éthiques conduit à cette mondialisation sauvage, sans respect des hommes et de l’environnement, que tant déplorent et craignent de voir s’aggraver. Le bien commun que vise l’UE est avant tout la paix. Mais la paix ne se peut sans garantir des lois communes pour tous (cf. Il ne peut pas y avoir de liberté sans justice et il ne peut y avoir de justice sans connaissance) ainsi que des contraintes et des normes.

L’UE ne peut avancer dans ses lois sans un mélange certes de pragmatisme, de flexibilité, mais aussi d’humanisme qui serait partagé par tous ses membres. Tenir un discours fermé de façon rigoriste sur des règles économiques d’austérité qui n’ont pas prouvées leur efficacité (sauf à sauver des banques?) au détriment du social, ne garantit pas la liberté de chacun et porte les individus à voir légitimement davantage les contraintes, que les avantages.

La promesse non tenue

Le souverain veut rendre le peuple heureux selon l’idée qu’il s’en fait, et il devient despote ; le peuple veut ne pas se laisser frustrer de la prétention au bonheur commune à tous les hommes et il devient rebelle

Kant

Martin Schultz l’a reconnu, «l’Europe est une promesse, mais une promesse qui n’a pas été tenue». Il ne faut plus rêver seulement l’Europe, il faut la reconstruire intelligemment et la rendre intelligible à tous, avant qu’il ne soit trop tard. Comment? C’est toute la question et cela suppose peut-être des choix d’orientation économique, social et politique nouveaux , car « la folie c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent » disait Einstein.

L’Europe peine désormais à séduire les peuples qui se réfugient dans des nationalismes grégaires, derrière des murs et des frontières. Trop de politiciens de tous bords ont joué avec le feu, et après le taureau et la tortue, ont fait de l’Europe le bouc émissaire de tous les malheurs. Il est tellement plus facile de prétendre l’autre responsable, c’est d’ailleurs le premier pas vers l’irresponsabilité et le déni d’humanité. Quelles qu’aient été les erreurs de l’union Européenne, de sa bureaucratie administrative, on lui a davantage prêté en débit qu’en crédit de ses actions, à tort et à travers, pour cacher l’incurie des politiques d’états souverains. Cela ne veut pas dire non plus que les politiques de l’UE ne sont pas discutables et révisables par les peuples. Elles devraient l’être, mais il faudrait pour cela ouvrir l’espace du dialogue et ne pas juste demander un oui ou un non inconditionnels.

Je ne suis pas amusée
Je ne suis pas amusée

L’Europe était la promesse du vivre-ensemble, mais la promesse s’effondre. L’Europe part en quenouille et en couille, désolée de la rime. Elle part en quenouille avec le coup de Trafalgar des Anglais, qui regrettent le règne de Victoria. Car que préfèrent-ils au final à la vieille Europe dont ils divorcent? Une jeune utopie pleine de vigueur et d’espérance? Même pas. Les tenants du leave n’ont aucun projet concret et ont obtenu une victoire à la Pyrrhus. Ils regrettent un temps où ils se croyaient maîtres du monde et de leur île. Ce divorce, c’est juste un geste irréfléchi de fatigue, un manque de vision constructive du futur, la victoire de la peur, en somme. Le Brexit, c’est aussi la victoire des plus âgés sur les plus jeunes, à défaut de celle de la raison, si on en croit les statistiques.

Ce n’était pas mieux avant

Futur incertain

Plus on avance en âge, plus on trouve que c’était mieux avant, l’herbe était plus verte, le thé et le monde plus anglais. Si l’avant de la jeunesse était mieux, ce n’est pas parce que le monde a changé, mais bien parce que la vieillesse nous change. Le monde lui, change depuis des millénaires, ainsi que la terre tourne. Les hommes courent et tournent avec elle, hamsters sur une roue, à échanger, partager, apprendre, puis, quand ils n’avancent plus sur la voie de la compréhension, qu’ils se fatiguent à tourner sans but réel, ils trouvent toujours que cela tourne trop vite pour eux et que c’était mieux avant, quand ils trouvaient le jeu plaisant.

Ainsi, Messieurs les Anglais, vous avez tiré les premiers sur une Europe moribonde. Ou plutôt, avec nous sur un bateau qui coule, vous avez foré une nouvelle voie d’eau. Imaginez qu’ensemble nous ayons pu le reconstruire, ce bateau ivre d’une promesse non tenue, mais qui pouvait – qui peut encore- naviguer vers des horizons plus solidaires?

Comment ne pas s’étonner et s’effrayer de cette peur et de cette haine que tant d’individus ont vomies dans un simple référendum, dont le résultat était déjà souillé irrémédiablement d’une balle dans la tête de Joe Cox ? Je partage la stupéfaction et la tristesse de nombreux anglais et autres européens devant ce Brexit, mais après tout, c’est une réaction face à une promesse non tenue. Ce qui provoque ma sidération va au-delà. Car quand je dis aussi que l’Europe part en couilles, c’est quand je vois le flot de testostérone déversé dans les débordements qui accompagnent l’Euro 2016.

Le nouvel opium du peuple

l'évolution et les hooligans
Hooligan’s evolution

Certes, les amateurs de football éclairés me maintiendront que les hooligans ne sont qu’un petit nombre, non représentatif de l’ensemble des supporters. Il se trouve d’ailleurs que certains de ces hooligans n’assistent pas aux matchs, ils viennent juste pour s’agiter devant tout tee-shirt d’une autre couleur que le leur. Malgré cela, je maintiens quant à moi que ce petit nombre, c’est la goutte d’eau qui déborde du vase. Il fallait donc que ce dernier soit déjà assez plein de boue à la base, pour déborder aussi facilement de cette violence malsaine.

Les débordements des hooligans me font penser à la nuit de cristal, ce rapprochement osé est celui de la bêtise crasse, la même volonté d’en découdre avec l’autre. J’y vois l’envie de frapper là où on désigne la différence, l’adversaire, fut-il monté de toutes pièces pour être livré à la soif sacrificielle. Le sens du sacrifice, c’est de ressouder la communauté. Quand celle-ci se disperse, se dilue dans l’individualisme et la peur de l’avenir, on n’arrive plus à rassembler pour quelque chose, on n’arrive seulement à rassembler contre quelques uns. Les sacrifiés seront les autres.

Ainsi en est-il de ce grand rassemblement autour d’un sport, le football, prétendument facteur de rapprochement et de réconciliation des peuples. Il est bien plus dans une logique de « contre » toutes choses (les autres équipes, toutes les autres équipes), que dans la construction de quelque chose en vue d’un objectif commun. Le seul objectif, c’est de rester dans la course. Amusant d’ailleurs que ce championnat d’Europe de Football, censé illustrer la communion des peuples dans le sport, illustre pleinement le problème de l’union européenne : chacun joue pour son équipe, médit du voisin, et se soucie peu de construire ensemble un but, puisqu’il s’agit de marquer des buts contre les autres ! Puis je doute que les footballeurs professionnels puissent incarner de près ou de loin des valeurs d’exemplarité morale, l’expression du respect envers autrui, comme je doute qu’une confédération sportive comme la FIFA puisse légitimement incarner des valeurs positives.

Le veau d’or est toujours debout

Le veau d'or
Le veau d’or

Et c’est bien là le problème. On nous montre avec hypocrisie des veaux d’or qui ne sont que des veaux, satisfaits de leur réussite qu’ils n’ont pas la maturité d’assumer avec du recul. Mais comment le pourraient-ils, épiés, idolâtrés, couverts d’or, projetés sur la scène médiatique pour montrer justement leur statut d’élus? Ils n’ont pas été choisis pour leur sagesse et leur esprit, les donner comme modèles, supputer même qu’ils puissent l’être, est une hypocrisie. C’est à peu près aussi amusant qu’une starlette de télé-réalité demandant à des fans hystériques d’être studieuses dans leurs études.

C’est d’ailleurs assez déroutant d’observer les stars qui brillent au firmament des écrans cathodiques ou numériques, ces prétendus modèles, politiques, sportifs, animateurs ou animatrices, stars réelles ou autoproclamées, grillons et criquets du net et d’ailleurs, qui frottent leurs élytres pour produire ce buzz viral aussitôt consommé, oublié, fragmenté en milliers d’éclats de rires démultipliés puis brisés sur l’absence de sens. A suivre, même brièvement, le flot de tous ces sons et mots, commentés à l’infini, on constate que, s’il y a une chose qui, dans ce monde profondément inégalitaire, est parfaitement partagée, c’est la bêtise méchante et vaine. Elle en devient même prisée quand elle est accompagnée de réussite économique.

Les nouveaux monstres

Nous avons créé de bien tristes monstres de Frankenstein au 21e siècle. Ces créatures fabriquées de toutes pièces par un espace médiatique sans précédent, sont pourtant loin de l’étincelle qui animait leur prédécesseur. La pitoyable créature arrachée du néant par un savant fou démiurge, rejetée par son créateur, aspirait pourtant à trouver l’humanité. Nous avons maintenant créé des baudruches vides, qui ne font que représenter, par la mise en spectacle de leur médiocrité, ou bien l’aspiration de chacun à son quart d’heure de célébrité, à n’importe quel prix, ou bien la haine rampante et le mépris de l’autre érigés en philosophie de vie, pour se donner de l’importance, faute de trouver au réel un autre sens.

Trumpitude
Trumpitude

Pourquoi ainsi un Donald Trump est-il si populaire aux Etats-Unis? Quel archétype incarne-t-il dans l’imaginaire collectif ? Il est grossier, maladroit, fruste, imbécile dans ces comportements et déclarations, sans culpabilité aucune pour ses tours pendables, mais aussi rusé, parfois innocent, parfois plein de convoitises. D’aucuns y verraient bien l’archétype Jungien du fripon. Peut-être. En tous cas, il est l’incarnation de l’irresponsabilité et de l’égoïsme.

Il devient dès lors le défouloir d’une pensée de l’individualisme, du moment présent, incapable de projeter un futur accessible, préférant charger les autres, l’AUTRE, avec force amalgames, de tous les maux du présent plutôt que de vouloir accepter sa propre responsabilité dans le passé et dans l’avenir. Trump a réussi : il a de l’argent.

Sur quelles bases a-t-il construit sa fortune? A bien y regarder, sur une certaine absence d’éthique en profitant largement de quelques faillites. Ainsi décomplexe-t-il un peu plus un peuple ne voyant plus que cette valeur de l’argent comme unique aune de la valeur des hommes. Trump ne rassemble pas pour construire quelque chose, il rassemble bien contre. Il rassure ainsi tous ces gens terrifiés de l’avenir, souhaitant à tous prix préserver leur part de la promesse d’une vie de confort, et que d’autres ne viennent pas grignoter un gâteau qu’ils imaginent être seuls à mériter. Ils ne veulent plus culpabiliser sur le malheur du monde, ni réfléchir à agir autrement. Trump, par son irresponsabilité assumée, son absence de réflexion de fond, les absout de cela: leur individualisme et leur désengagement.

La démocratie a ses démons, quand elle devient la dictature de l’opinion et que le peuple n’exprime plus que ses propres besoins de possession, de domination et cette servitude à la bête acculée qui est en lui. L’idée d’une Europe de l’union et de la solidarité, c’était une belle idée. Il reste à convaincre les peuples qu’elle vaut mieux que toutes les violences, et en particulier, celles de l’indifférence ou de la peur de l’autre. Cela ne se fera pas avec de simples promesses, il faut aussi lui donner un cadre concret, qui va au-delà du conformisme à une logique économique destructrice, justement, d’union et de solidarité.

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